Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/150

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trouva pas moyen de s’y faufiler. Enfin l’importun met la main sur son sabre et provoque l’obstiné Autrichien ; par ses menaces et ses injures, il veut entraîner son adversaire dans la prochaine ruelle, pour y vider l’affaire ; mais l’homme tranquille et sage, qui connaissait parfaitement les droits de son office, ne branle pas et maintient l’ordre comme auparavant. Je voudrais voir eette scène traitée par un peintre de caractères, car ces deux hommes étaient aussi différents de figure que de conduite : le tranquille était ramassé et robuste ; le furieux (car il finit par l’être) était long, maigre, fluet et remuant.

Le temps que je pouvais consacrer à cette promenade était en partie écoulé, et la crainte de retards semblables m’ôta au retour toute envie de visiter cette vallée autrefois si chère, et qui d’ailleurs n’aurait éveillé chez moi que le sentiment de regrets douloureux et la stérile méditation de mes jeunes années. Cependant je restai longtemps immobile en contemplation, livré au fidèle souvenir de jours paisibles, parmi les vicissitudes conftises des événements terrestres.

Il arriva par hasard que je fus informé en détail des mesures prises pour la prochaine campagne sur la rive droite. Le régiment du duc se disposait à passer le Rhin ; le prince lui-même devait suivre avec toute sa maison. L’idée de continuer la vie de soldat m’était insupportable, et la pensée de la fuite me saisit une seconde fois. Je pourrais la nommer un mal du pays en sens inverse, un désir de prendre le large au lieu de rentrer au port. Le beau fleuve était là devant moi ; il coulait, il descendait si doucement dans une large et vaste contrée ! Il coulait chez des amis, auxquels j’étais resté fidèlement uni, en dépit de maintes vicissitudes. Je me sentais appelé loin d’un monde étranger, violent, dans les bras de l’amitié. Aussi, après avoir obtenu mon congé, je me hâtai de louer un bateau jusqu’à Dusseldorf, recommandant à mes amis de Coblenz, avec prière de me l’expédier, ma chaise, que je devais encore laisser derrière moi.

Quand je me fus embarqué avec mes effets, et que je me vis emporté parle courant, accompagné du fidèle Paul et d’un passager aveugle, qui s’était engagé à ramer au besoin, je me crus heureux et délivré de tous les maux. Cependant quelques aventures m’étaient réservées. Nous n’avions pas fait beaucoup de