Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/180

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tante responsabilité. La princesse parut prendre mes scrupules en considération.

On m’obligea aussi à rendre quelque compte de mes études d’histoire naturelle ; mais je réussis mieux à divertir la société, où se trouvaient des ecclésiasliques de sens et d’esprit, des jeunes gens de bonne mine et bien élevés, pleins d’ardeur, et qui promettaient beaucoup pour l’esprit et pour le cœur. Sans que j’en fusse prié, je choisis pour sujets de mes récits les fêtes de l’Église romaine, la semaine sainte, Pâques, la FêteDieu, Saint-Pierre et Saint-Paul, puis, comme délassement, la bénédiction des chevaux1, à laquelle d’autres animaux domestiques prennent part. Ces fêtes m’étaient alors parfaitement présentes avec tous leurs détails caractéristiques, car j’avais formé le projet d’écrire une année romaine, la suite des solennités ecclésiastiques et civiles. Et comme j’étais en état de décrire ces fêtes d’après une impression directe et sans mélange, je vis mon pieux auditoire catholique aussi satisfait de mes tableaux que les mondains l’étaient du carnaval. Un des assistants, qui connaissait peu la société, demanda même tout bas si réellement je n’étais pas catholique. En me contant la chose, la princesse me fit encore un autre aveu. On lui avait écrit avant mon arrivée qu’elle ferait bien de se tenir sur ses gardes ; que je savais si bien prendre un air dévot, qu’on pouvait me croire religieux et même catholique. « Accordez-moi, noble amie, m’écriai-je, que je ne prends pas l’air dévot, que je le suis quand je dois l’être. Il ne m’est point diflicile d’observer tous les états d’un regard innocent et pur, et d’en faire ensuite une peinture fidèle. Toute grimace par laquelle des personnes vaines otfensent à leur façon l’objet du culte me fut toujours odieuse. Ce qui me répugne, j’en détourne les yeux ; mais j’aime à observer dans leur caractère propre bien des choses que je n’approuve pas précisément, et il se découvre le plus souvent que les autres ont aussi bien le droit d’exister dans leur manière d’être que moi dans la mienne. » Grâce à mes explications, ce point fut encore éclairci, et en s’ingérant dans nos relations d’une manière clandestine, qui n’était rien moins que louable,


1. Tome IX, page 213.