Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/29

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qu’ils soient devenus des hommes, et qu’en chantant ils réiablisseiu mon maître sur son trône et qu’ils vous renversent du vôtre. » Tels étaient les sentiments de cet homme qu’on voulait croire insensible, de cet Allemand qu’on disait mauvais patriote.

L’époque troublée au milieu de laquelle on vivait lui suggéra des réflexions sérieuses. Après seize ans d’intimité, il épousa Ghristiane. Il sentait la nécessité d’assurer le sort de la mère et de l’enfant. C’était d’ailleurs la juste récompense du courageux dévouement qu’elle lui avait montré dans ces jours difficiles. Ce fut le 19 octobre, par conséquent cinq jours après le pillage de Weimar, et non, comme on l’a dit, pendant la canonnade, qu’il fit bénir son mariage, en présence de son fils et de Riemer, son secrétaire. Devenue la femme de Goethe, Christiane porta cet honneur avec modestie, on pourrait dire avec humilité. De son côté, il exigeait ponctuellement pour elle tous les égards auxquels elle avait droit par son titre, et l’on eût été mal reçu d’y manquer.

Des jours tranquilles étaient revenus pour Weimar. Le prince avait fait sa paix avec le vainqueur en accédant à la confédération du Rhin. Il était rentré dans son duché au milieu des cris d’allégresse. Goethe, qui avait eu le bonheur de sauver ses papiers etses collections, se hâta de faire imprimer Faust et le Traité des couleurs, pour les préserver d’une atteinte fatale. Il méditait encore son Guillaume Tell1.

Une nouvelle affliction vint frapper la famille régnante et son ami fidèle : la duchesse Amélie mourut le 10 avril 1807, après avoir vu l’Allemagne bouleversée, son frère mort, son fils chassé de chez lui. Son cnour était brisé, et cette âme courageuse céda enfin aux coups de l’adversité. Goethe célébra sa mémoire par un discours que le duc fit lire dans toutes les églises du pays le jour du service funèbre.

Aussitôt après, le 23 avril, Bettine arrive h Weimar. On a trop écrit et trop discouru sur ses rapports avec Goethe, elle en a fait elle-même trop de bruit, pour que nous croyions devoir nous y arrêter longtemps. Une personne jeune encore, d’une imagination vive et romanesque, se croit éperdument amoureuse du célèbre poète. Elle s’insinue d’abord auprès de sa mère, dont elle flatte la tendresse par l’expression de son enthousiasme pour ce fils adoré ; il est touché à son tour des attentions qu’elle montre pour sa mère, et lui écrit en termes obligeants ; elle paraît soudain à Weimar, elle surprend,


1. Annales, page 266.