Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/291

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qu’on pouvait dire sur les écarts de sa première jeunesse. Nos princes n’avaient fait aucune attention à ces querelles particulières ; mais le hasard, qui est souvent naïf, comme dit Schiller, voulut que le bourgmestre qui avait fermé la salle reçût justement alors, comme récompense de ses services, le titre de conseiller. Les Weimariens, auxquels ne faisaient jamais défaut ces spirituelles saillies qui rattachent le théâtre à la vie sociale, lui donnèrent le surnom de prince Piccolomini, qui lui resta quelque temps.

Qu’une pareille secousse ait eu des suites fâcheuses sur nos relations de société, c’est ce qu’on imagine aisément. Dans le cours de l’hiver précédent, il s’était formé chez moi, sans objet scientifique, un cercle choisi, pour goûter avec moi les plaisirs de la société et entendre quelques lectures. A l’occasion des réunions qui avaient lieu chez moi de temps en temps, je composai quelques chansons, qui se répandirent ensuite. Ainsi, par exemple, la chanson connue : « Je suis saisi, je ne sais comment, d’une céleste joie1, » fut composée pour le 22 février, jour où S. A. le prince héritier, partant pour Paris, paraissait chez nous pour la dernière fois. Nous avions aussi salué la nouvelle année par la chanson : « Pourquoi, belle voisine, aller ainsi seule au jardin2, » et les membres de la société pouvaient s’y reconnaître comme sous un voile léger. D’autres chants, qui plaisaient surtout par leur naïveté, me furent encore inspirés par ces réunions, où l’attachement sans passion, l’émulation sans envie, le goût sans prétention, l’amabilité sans afféterie, le naturel sans rudesse, agissaient mutuellement. Kotzeboue avait frappé à notre porte, mais nous ne l’avions pas admis. Il n’entra jamais chez moi. Il fut donc obligé de se créer une société particulière, et cela ne lui fut pas difficile. Par ses manières insinuantes, il sut bientôt s’entourer d’un cercle ; quelques personnes nous quittèrent même pour lui. Ma petile société se dispersa, et je ne trouvai plus de chansons comme celles que je lui avais consacrées.

Tout cela ne m’empêchait pas de marcher toujours avec Schiller et d’autres amis. On laissait derrière soi ce qu’on avait


1. Tome I, page 46. — 2. Tome I, page 42.