Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/312

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qui aurait survécu à la sépulture plus longtemps que celui de Messine ; elle se tourna désormais vers le cadavre et le suivit dans la fosse, qui l’avait englouti sans appareil. Alors seulement, je me le représentai tombant en pourriture. Une douleur insupportable me saisit, et, la maladie me séparant de la société, je demeurai plongé dans la plus triste solitude. Mon journal ne dit rien de ce temps-là ; les pages blanches attestent le vide que je sentais ; les nouvelles qui s’y trouvent font voir seulement que je côtoyais le courant des affaires sans y prendre intérêt, et qu’au lieu de les conduire, je me laissais conduire par elles. Que de fois, dans la suite, je dus sourire en moi-même quand des amis de Schiller regrettaient qu’il n’eût pas de monument à Weimar ! J’avais toujours dans l’idée que c’était moi qui aurais pu ériger à Schiller et à notre intimité le plus honorable monument.

C’était encore par l’entremise de Schiller que j’avais envoyé à Leipzig la traduction du Neveu de Rameau. On me renvoya après sa mort quelques cahiers manuscrits du Traité des couleurs. Les objections qu’il avait à me faire sur les endroits soulignés, je pus me les expliquer dans son sens, et son amitié continuait d’agir du royaume des morts, tandis que la mienne se voyait exilée parmi les vivants.

Je dus alors fixer sur un autre objet mon activité isolée. Les lettres de Winckelmann, qui étaient arrivées dans mes mains, me portèrent à réfléchir sur cet homme admirable dès longtemps disparu, et à donner une forme précise aux idées, aux sentiments, qu’il avait fait naître en moi depuis tant d’années. J’avais déjà réclamé le concours de plusieurs amis. Schiller m’avait promis le sien. Un homme du plus grand mérite, Wolf, professeur à Halle, s’intéressa à cette publication. Il était arrivé le 30 mai à Weimar, accompagné de son aimable fille, dont la belle et vive jeunesse rivalisait avec le printemps. Wolf accepta l’hospitalité dans ma maison, et je passai avec lui des heures fécondes en plaisir et en instruction. Mais nos directions étaient diverses, et ce ne fut plus ici comme avec Schiller : cette diversité nous tint séparés. Wolf avait consacré toute sa vie aux documents écrits de l’antiquité ; son esprit pénétrant s’était tellement rendu maître des qualités propres aux différents au-