Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/417

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que fût ma vie de jeune homme, cette règle connue et désirable m’était rappelée assez souvent. J’avais beau vivre librement et sans gêne, me montrer joyeux avec mes amis, je m’aperçus bientôt que les circonstances nous limitent quoi que nous puissions faire, et l’idée me vint que le mieux était de nous faire du moins une âme indépendante.

AGE MÛR.

Je n’ai jamais connu d’homme plus présomptueux que moi, et, en le disant, je prouve déjà la vérité de ce que j’avance.

Je ne croyais jamais qu’il s’agît d’atteindre à quelque chose : je pensais toujours que c’était chose faite. On aurait pu me poser une couronne sur la tête, que cela m’aurait paru tout simple. Et, par là justement, je n’étais qu’un homme comme un autre. Mais, ce qui me distinguait d’un véritable fou, c’est que je cherchais à venir à bout de ce que j’avais entrepris au-dessus de mes forces, et de mériter ce que j’avais obtenu au delà de mon mérite.

J’étais d’abord importun aux gens par mon erreur, puis par mon application. J’avais beau faire, j’étais seul.

La raison serait en nous une grande puissance, si seulement elle savait qui elle aura à combattre. La nature prend en nous incessamment une forme nouvelle, et chaque forme nouvelle devient un ennemi inattendu pour la bonne raison, toujours égale à elle-même.

Les amis qui observent de sang-froid éveillent parfois sans ménagement les somnambules de génie par des observations, qui interrompent et détruisent l’intime vie mystique de ces enfants favorisés ou, si l’on veut, maltraités de la nature.

Dans mon meilleur temps, des amis, qui devaient bien me connaître, me disaient souvent que ma vie valait mieux que mes