Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/54

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quartier, il y eut un affreux carnage, où nous eûmes le dessus, nous fîmes des prisonniers, nous prîmes des chevaux, des carabines et des sabres, si bien que ce prélude éleva l’esprit guerrier, jprtifia l’espoir et la confiance.

Le 29 août, on leva le camp et l’on se dégagea lentement et non sans peine de ces flots de terre et d’eau qui formaient une épaisse boue. Comment tenir un peu proprement les tentes, les bagages, les équipements, quand il ne se trouvait pas une place sèche où l’on pût mettre en ordre et étendre ses effets ?

Cependant l’attention avec laquelle les chefs conduisirent cette marche nous donna une vive confiance. 11 était sévèrement ordonné aux voitures, sans aucune exception, de suivre la colonne ; le chef du régiment était seul autorisé à faire passer une chaise devant sa troupe. Aussi avais-je l’avantage de cheminer pour cette fois à la tête du corps d’armée dans ma légère calèche. Les deux chefs (le roi1 et le duc de Brunswick) s’étaient postés avec leur escorte à l’endroit où tout devait défiler devant eux. Je les vis de loin, et, quand nous arrivâmes, Sa Majesté s’approcha à cheval de ma calèche et demanda avec sa manière laconique : « A qui la voiture ? » Je répondis en élevant la voix : « Au duc de Weimar ! » Et nous passâmes. Peu de gens se sont vus arrêtés par un plus noble visiteur.

En avançant, nous trouvâmes çà et là les chemins un peu meilleurs. Dans une singulière contrée, où les vallées et les collines alternaient, la terre me parut assez essuyée pour qu’on pût se tenir commodément h cheval. Je me jetai en selle, et je continuai la route plus gaiement et avec plus de liberté. Le régiment avait le pas sur toute l’armée : nous pouvions donc être toujours en avant et échapper tout à fait au mouvement incommode de la troupe.

Nous quittâmes la grand’route et nous traversâmes Arancy, où l’abbaye de Châtillon, propriété ecclésiastique qu’on avait vendue, nous offrit au passage, avec ses murs à moitié renversés et détruits, un premier indice de la Révolution.

Nous vîmes ensuite Sa Majesté galopant par monts et par vaux, accompagnée de son cortége, comme le noyau d’une co-


1. Le roi de Prusse.