Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/84

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de bons cavaliers, ronflaient et mugissaient ; toute la masse, sans se rompre ou se confondre, paraissait flottante. Un objet particulier me rappela d’autres temps. Au premier rang de l’escadron, l’étendard se balançait dans les mains d’un bel adolescent, qui le tenait ferme, mais qui était rudement secoué par le cheval impatient ; dans ce terrible moment, son agréable visage me rappela d’une manière étrange et pourtant naturelle le visage plus agréable encore de sa mère, et les paisibles moments que j’avais passés auprès d’elle.

Enfin arriva l’ordre de rétrograder et de descendre : tous les régiments de cavalerie l’exécutèrent avec beaucoup d’ordre et de tranquillité ; nous n’avions perdu qu’un cheval, tandis que nous aurions pu, et surtout à l’extrême droite, être tués tous. Quand nous fûmes dégagés de ce feu incompréhensible, et remis de notre surprise, l’énigme s’expliqua : nous trouvâmes la demi-batterie, sous la protection de laquelle nous avions cru nous avancer, tout au bas de la colline dans un enfoncement, comme le terrain en présenlait plusieurs çà et là dans cette localité. Repoussée de la hauteur, elle s’était précipitée dans cette fondrière de l’autre côté de la chaussée, en sorte que nous n’avions pu remarquer sa retraite. L’artillerie ennemie avait pris sa place, et ce qui aurait dû nous protéger avait failli nous être fatal. A nos reproches, les compagnons répondirent en riant et nous assurèrent, d’un ton goguenard, qu’on était mieux là-bas à l’abri.

Mais, lorsque ensuite on voyait de ses yeux quels efforts inouïs il fallait faire pour trainer ces batteries volantes à travers ces effroyables collines fangeuses, on avait un nouveau sujet de réfléchir sur la situation critique dans laquelle nous nous étions engagés.

Cependant la canonnade continuait. Kellermann occupait près du moulin de Valmy un poste dangereux, contre lequel notre feu était surtout dirigé. Là un chariot de poudre sauta en l’air, et l’on se réjouit du mal que cela pouvait avoir causé chez les ennemis. Chacun était donc réduit à regarder et à écouter, qu’il fût au feu ou qu’il n’y fût pas. Nous nous arrêtâmes sur la chaussée de Châlons auprès d’un poteau qui indiquait le chemin de Paris. Ainsi nous avions à dos cette capitale, et l’armée fran-