Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/96

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fâcheuses, nous aimons à nous comparer avec les grands personnages, surtout avec ceux qui se sont trouvés dans une situation plus fâcheuse encore : cela me conduisit à raconter, sinon pour amuser la compagnie, du moins pour la distraire, les plus terribles événements de la vie de saint Louis. Le Roi, dans sa croisade, veut d’abord abaisser le sultan d’Egypte, sous la dépendance duquel se trouve actuellement la Terre-Sainte. Damiette tombe sans siége dans les mains des chrétiens. Enflammé par son frère, le comte d’Artois, le Roi remonte la rive droite du Nil, et marche sur Babylone (le Caire). On réussit à combler un canal alimenté par l’eau du Nil. L’armée passe ; mais elle se trouve resserrée entre le Nil et ses canaux ; les Sarrasins, au contraire, sont avantageusement postés sur les deux rives du fleuve. Passer les grands canaux devient difficile. On élève des bastilles contre les bastilles des ennemis ; mais ils ont l’avantage du feu grégeois, qui fait beaucoup de mal aux machines et aux hommes. Que sert aux chrétiens leur ordre de bataille imperturbable ? Ils sont incessamment harcelés par les Sarrasins, provoqués, assaillis, engagés par corps séparés dans des escarmouches. Quelques exploits isolés, quelques combats corps à corps, attirent l’attention, élèvent le courage ; mais les héros et le Roi lui-même sont enveloppés. C’est en vain que les plus vaillants se frayent un passage ; le désordre s’accroît. Le comte d’Artois est en danger ; le Roi hasarde tout pour le sauver. Son frère est déjà mort ; le mal s’élève au plus haut point. Dans cette chaude journée, il s’agit de défendre un pont jeté sur un canal latéral, pour empêcher les Sarrasins de prendre l’armée à dos. Un petit nombre de guerriers, qui occupent ce poste, est assailli de toutes façons : les soldats ennemis lancent des flèches, les goujats des pierres et de la boue. Au milieu de ce danger, le comte de Soissons dit au sire de Joinville : « Sénéchal, laissons aboyer et hurler ces chiens. Par le trône de Dieu ! (c’est ainsi qu’il avait coutume de jurer) nous parlerons encore de ce jour en chambre devant les dames. »

On sourit, on accepta l’augure, on discourut sur les incidents possibles ; on insista sur les raisons quravaient les Français de nous ménager plutôt que de nous perdre ; l’armistice longtemps observé, la conduite de l’ennemi jusqu’alors modérée, don-