Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/98

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guisait la faim ; les maladies, la misère, le découragement, pesaient durement sur cetle grande masse de braves gens. Dans ces angoisses, nous fûmes encore surpris et troublés par une incroyable nouvelle : on disait que le duc de Brunswick avait envoyé son manifeste à Dumouriez, qui, dans sa surprise et son indignation, avait aussitôt dénoncé l’armistice et ordonné la reprise des hostilités.

Si grande que fût la calamité présente, et quoiqu’on en prévît de plus grandes encore, nous ne pûmes nous empêcher de railler et de rire. On voit bien, disions-nous, les maux qu’entraîne après elle la qualité d’auteur. Tout poète, tout écrivain, présente volontiers ses ouvrages à chacun, sans demander si le moment est propice : il en est de même du duc de Brunswick ; pour savourer les joies de la paternité, il produit encore, on ne peut plus mal à propos, son malheureux manifeste. »

Nous nous préparions à entendre les avant-postes commencer leurs feux ; nous observions toutes les collines d’alentour pour voir s’il ne paraissait point d’ennemi, mais tout était aussi tranquille et aussi silencieux que s’il ne fût rien arrivé. Cependant on vivait dans la plus pénible incertitude ; car chacun voyait bien que, selon la stratégie, nous étions perdus, si l’ennemi avait la moindre envie de nous inquiéter et de nous presser. Mais, dans cette perplexité, on apercevait déjà quelques signes d’entente et d’accommodement : on avait, par exemple, échangé le maître de poste de Sainte-Menehould contre les personnes de la suite du Roi, prises le 20 septembre entre les chariots et l’armée.

29 septembre 1792.

Vers le soir, conformément aux ordres donnés, les bagages se mirent en mouvement. Ils prirent les devants sous l’escorte du régiment de Brunswick ; l’armée devait suivre à minuit. Tout s’ébranla, mais tristement et lentement. Avec la meilleure volonté, on glissait sur cette terre détrempée et l’on tombait tout à coup. Cependant ces heures aussi passèrent : le temps et les heures franchissent à la course les plus mauvais jours.

La nuit était venue, et nous devions encore la passer sans sommeil. Le ciel n’était pas défavorable ; la pleine lune éclai-