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Page:Goethe - Œuvres d'Histoire naturelle, trad. Porchat (1837).djvu/19

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DE L’EXPÉRIENCE
CONSIDÉRÉE
COMME MÉDIATRICE
ENTRE
L’OBJET ET LE SUJET[1].

(1793.)

L’homme, dès qu’il aperçoit les objets qui l’entourent, les considère de prime-abord dans leurs rapports avec lui-même, et il a raison d’en agir ainsi ; car toute sa destinée dépend du plaisir ou du déplaisir qu’ils lui causent, de l’attraction ou de la répulsion qu’ils exercent sur lui, de leur utilité ou de leurs dangers à son égard. Cette manière si naturelle d’envisager et d’apprécier les choses paraît aussi facile que nécessaire, et cependant elle expose l’homme à mille erreurs qui l’humilient, et remplissent sa vie d’amertume.

Celui qui, mu par un instinct puissant, veut connaître les objets en eux-mêmes et dans leurs rapports réciproques, entreprend une tâche encore plus difficile ; car le terme de comparaison qu’il avait en considérant les objets par rapport à lui-même, lui manquera bientôt. Il n’a plus la pierre de touche du plaisir ou du déplaisir, de l’attraction ou de la répulsion, de l’utilité ou de l’inconvénient, ce sont des critères qui lui manquent désormais complétement. Impassible, élevé pour ainsi dire au-dessus de l’humanité, il doit s’efforcer de con-

  1. Ces deux mots sont empruntés à la philosophie de Kant. Le sujet, c’est le moi pensant ; l’objet, c’est tout ce qui n’est pas moi, c’est le monde extérieur en général, et chacune des parties qui le composent en particulier.