Page:Goethe - Les Affinités électives, Charpentier, 1844.djvu/19

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fois la plume, et ne put se mettre d’accord avec lui-même sur ce qu’il devait écrire. Contrarier sa femme, lui paraissait aussi impossible que de se contrarier lui-même ou de faire ce qu’elle désirait ; et dans l’agitation où il se trouvait, il lui était impossible d’écrire une lettre calme. Il était donc bien naturel qu’il cherchât à gagner du temps. A cet effet il adressa quelques mots à son ami, et le pria de lui pardonner de ne pas lui avoir écrit plus tôt et de ne pas lui en dire davantage en ce moment. Puis il promit de lui envoyer incessamment une lettre explicative et tranquillisante.

Le lendemain matin, Charlotte profita d’une promenade qu’elle fit avec son mari, pour faire revenir l’entretien sur le sujet de la veille ; car elle était convaincue que le meilleur moyen de combattre une résolution prise, était d’en parler souvent.

Édouard reprit cette discussion avec plaisir. D’un caractère impressionnable, il s’animait facilement, et la vivacité de ses désirs allait souvent jusqu’à l’impatience ; mais, craignant toujours d’offenser ou de blesser, il était encore aimable lors même qu’il se rendait importun. N’ayant pu convaincre sa femme, il parvint à la charmer, presque à la séduire.

— Je te devine ! s’écria-t-elle, tu veux que j’accorde aujourd’hui à l’amant ce que j’ai refusé hier au mari. Si j’ai encore la force de résister à des vœux que tu m’exprimes d’une manière si séduisante, il faut du moins que je te fasse une révélation à peu près semblable à la tienne. Oui, je me trouve dans le même cas que toi, et je me suis volontairement imposé le sacrifice que j’ai osé espérer de ta tendresse.

— Voilà qui est charmant, répondit Édouard, il paraît que, dans le mariage, rien n’est plus ut