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Page:Goethe - Werther, 1845, trad. Leroux.djvu/170

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oui, très-étrangers à mon cœur, je n’ai trouvé aucun instant, aucun où ce cœur m’ait ordonné de vous écrire ; mais, à peine dans cette cabane, dans ce réduit solitaire où la neige et la grêle se déchaînent contre ma petite fenêtre, vous avez été ma première pensée. Dès que j’y suis entré, votre idée, ô Charlotte ! cette idée si vivifiante, s’est d’abord présentée à moi. Grand Dieu ! c’étaient tous les charmes de la première entrevue.

Si vous me voyiez, Charlotte, au milieu du torrent des distractions ! comme tout mon être se flétrit ! Pas un instant d’abondance de cœur, pas une heure où viennent aux yeux des larmes délicieuses ! rien, rien ! Je suis là comme devant un spectacle de marionnettes : je vois de petits hommes et de petits chevaux passer et repasser devant moi, et je me demande souvent si ce n’est point une illusion d’optique. Je suis acteur aussi, je joue aussi mon rôle ; ou plutôt on se joue de moi, on me fait mouvoir comme un automate. Je saisis quelquefois mon voisin par sa main de bois, et je recule en frissonnant.

Le soir, je me propose de jouir du lever du soleil, et le malin je reste au lit. Pendant la journée, je me promets d’admirer le clair de lune, et je ne quitte pas la chambre. Je ne sais pas au juste pourquoi je me couche, pourquoi je me lève.

Le levain qui faisait fermenter ma vie me manque ; le charme qui me tenait éveillé au milieu des nuits, et qui m’arrachait au sommeil le matin, a disparu.