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Page:Goethe - Werther, 1845, trad. Leroux.djvu/228

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Comme il approchait du cabaret, devant lequel le village entier était rassemblé, il s’éleva tout à coup une grande rumeur. On vit de loin une troupe d’hommes armés, et chacun s’écria que l’on amenait le meurtrier. Werther jeta les yeux sur lui, et il n’eut plus aucune incertitude. Oui, c’était bien ce valet de ferme qui aimait tant cette veuve, et que, peu de jours auparavant, il avait rencontré livré à une sombre tristesse, à un secret désespoir.

« Qu’as-tu fait, malheureux ! » s’écria Werther en s’avancent vers le prisonnier. Celui-ci le regarda tranquillement, se tut, et répondit enfin froidement : « Personne ne l’aura, elle n’aura personne. » On le conduisit au cabaret, et Werther s’éloigna précipitamment.

Tout son être était bouleversé par l’émotion extraordinaire et violente qu’il venait d’éprouver. En un instant il fut arraché à sa mélancolie, à son découragement, à sa sombre apathie. L’intérêt le plus irrésistible pour ce jeune homme, le désir le plus vif de le sauver, s’emparèrent de lui. Il le sentait si malheureux, il le trouvait même si peu coupable, malgré son crime ; il entrait si profondément dans sa situation, qu’il croyait que certainement il amènerait tous les autres à cette opinion. Déjà il brûlait de parler en sa faveur ; déjà le discours le plus animé se pressait sur ses lèvres ; il courait en hâte a la maison de chasse, et répétait à demi-voix, en chemin, tout ce qu’il représenterait au bailli.