Page:Gogol - Les Âmes mortes, tome 1, trad Charrière, 1859.djvu/125

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CHANT IV.

NOZDREF.


Notre héros gagne l’auberge de la route. — Description du lieu. — Ce que c’est qu’un estomac russe dans la province. — Le héros se fait servir un déjeuner plus qu’abondant, comme s’il eût été à la diète depuis deux jours. — Il cause avec la servante. — Nozdref et un beau-frère blond. — Ce que c’est que Nozdref, ses équipées foraines. — Il s’acharne à entraîner le héros chez lui. — Il entraîne aussi l’honnête beau-frère, mari de sa sœur, ennemi des popinations. — Désordre dans la maison comme dans la tête de Nozdref. — Celui-ci montre en détail son domaine. — Ses hâbleries de tout genre. — Le beau-frère blond est un personnage incommode aux hâbleurs ; notre héros est plus facile. — Après un dîner long et surabondamment arrosé, le beau-frère parvient à fuir ; Tchitchikof est forcé de jouer ; mais d’abord il pressent son hôte sur les âmes mortes de son domaine. — Nozdref a un langage et des manières terribles, outre cela il triche au jeu. — Grande querelle qui se renouvelle le lendemain matin avec violence, chacun estimant bien que l’autre mérite au moins la potence. — Heureuse fuite du héros, providentiellement favorisée par l’incident de l’arrivée d’un magistrat.


En approchant de l’auberge de la maison de poste, Tchitchikof ordonna qu’on s’arrêtât pour deux raisons : pour laisser les chevaux souffler une bonne petite heure, et aussi pour mettre quelque chose sous la dent, afin de se refaire des fatigues du trajet. L’auteur doit avouer qu’il envie beaucoup l’appétit et l’estomac de gens ainsi constitués ; et à ses yeux ils sont bien ridicules, vraiment, tous ces beaux messieurs de la haute volée, gravitant dans le firmament gastronomique de Pétersbourg et dans celui de Moscou, qui passent leur vie dans la méditation de ce qu’ils mangeront demain, des mets dont ils composeront leur dîner d’après-demain, qui se préparent à leur savante entreprise en avalant une pilule et des huîtres et des araignées marines et d’autres merveilles, et, après cent ou deux cents séances pareilles, partent forcément pour les eaux