j’entends s’arrêter une voiture et je me dis : « Bah ! qui donc peut venir de si bonne heure ? » Paracha pensa que ce devait être la vice-gouvernante, sur quoi je lui dis : « Allons, encore cette folle qui vient m’obséder !… » Et ma foi, j’allais tout bonnement me faire dire absente.
La belle visiteuse voulait entrer en matière et se soulager de sa nouvelle, mais une soudaine exclamation de Charmante donna tout à coup une autre direction à l’entretien.
« Quelle jolie indienne ! s’écria la dame en regardant la robe de Gentille.
— Oui, n’est-ce pas que c’est joli ? Prascovia Feodorovna trouve les carrés un peu grands et à ces points cannelle elle préférerait des points bleus. Je viens d’envoyer à ma sœur une étoffe si délicieuse qu’en vérité je ne sais comment vous en donner une idée : représentez-vous des raies fines, fines, fines… aussi fines que votre imagination peut les concevoir… le fond est bleu de ciel, et entre les raies il y a des œils, des pattes, des œils, des pattes, des œils, des pattes… je vous dis que c’est ravissant ; quant à moi d’abord, je vous assure que je n’ai jamais rien vu d’aussi gracieux au monde.
— Bien ; mais c’est bigarré.
— Non, ce n’est pas bigarré.
— Bah, bah ! c’est bigarré. »
Je dois dire en passant que Charmante est un peu matérialiste, un peu portée à nier et à douter, et qu’il y a beaucoup de choses reçues et convenues dans la société, qu’elle n’admettait pas et dont elle ne convenait point.
Gentille expliqua très-doucement que l’étoffe dont elle avait parlé n’offrait à l’œil aucune bigarrure, et aussitôt elle s’écria : « Ah ! chère, des ganses, vous avez encore des ganses ! on ne porte plus de cela.
— Comment ! on ne porte plus de ganses ?
— Eh non ; on les remplace par des festons.
— Tant pis, si cela est, car ce n’est pas joli… du feston !
— Des festons, oui, tout en festons : la pèlerine se fait en festons, on en met sur les manches ; les épaulettes se