Page:Gogol - Les Âmes mortes, tome 1, trad Charrière, 1859.djvu/69

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Et que vous semble de notre gouverneur ?

— N’est-ce pas, dit Manîlof, que c’est un homme très-distingué… et qui reçoit à merveille ?

— Vous avez parfaitement raison, répondit Tchitchikof, c’est un homme tout à fait comme il faut. Et comme il a pris en main les rênes de son administration ! comme il comprend bien ses devoirs ! Il faut souhaiter à notre patrie beaucoup de magistrats comme celui-là.

— Ah ! comme il sait, n’est-ce pas, en recevant quelqu’un, observer la délicatesse du langage et des manières… ajouta Manîlof en faisant une délicate figure de haut magistrat qui reçoit l’administré ; et de plaisir le hobereau fermait aux trois quarts les yeux, à peu près comme un chat à qui on passe légèrement les doigts sur la gorge et autour des oreilles.

— C’est un homme très-accueillant et très-agréable, reprit Tchitchikof. Et comme il est adroit de ses mains ! Vrai, j’ai eu de la peine à en croire mes propres yeux. Comme il s’entend à broder des dessous de lampe et des dessus de presse-papiers, de coussinets et de tabourets ! Il m’a fait voir une bourse en perles, qui est de son travail… En vérité, je ne sais si les doigts de fée de madame pourraient mieux faire que cela.

— Et notre vice-gouverneur, hein ? n’est-ce pas aussi un aimable homme ? dit Manîlof en commençant à manœuvrer ses yeux comme tout à l’heure.

— C’est un charmant, un très-charmant homme, répondit sans balancer Tchitchikof.

— Çà, permettez : que vous a semblé de notre maître de police ? n’est-ce pas que c’est vraiment un homme agréable ?

— Comment donc ! et très-agréable, même ; de plus, un brave homme et plein d’esprit. Le président de cour, le procureur général et moi, nous avons été battus au whist chez lui ; nous avons joué jusqu’aux derniers coqs[1]… C’est un brave, un excellent homme.

  1. Jusqu’au jour suivant.