toute l’administration publique enfin, qu’il montre corrompue, vénale, pleine de bassesse et de morgue, à la fois servile et tyrannique. On ne peut comprendre qu’une telle comédie ait été permise sur le théâtre, à moins de supposer que le gouvernement y vit un moyen de dévoiler et de flétrir des abus qu’il n’est pas en son pouvoir de poursuivre et de déraciner.
Gogol acheva de se rendre célèbre et populaire en publiant la première partie de son fameux roman les Ames mortes (Meurtvia Douchi), dont le titre, comme le sujet, ne peut appartenir qu’à la Russie. Personne n’ignore qu’en ce pays, on appelle âmes les paysans serfs, et seulement les mâles et les adultes. Ni les femmes, ni les enfants ne sont portés sur les tables de capitation. C’est par âmes qu’on évalue la fortune d’un seigneur et l’importance d’une propriété. Ce sont des âmes qu’on vend et qu’on achète, qu’on apporte en dot, qu’on reçoit en héritage, qu’on donne en gage par hypothèque. D’une autre part, et sous le nom de conseil de tutelle, la caisse impériale fait, dans chaque province, des prêts aux boyards nécessiteux en prenant garantie sur leurs biens. Ce double usage a produit naguère une singulière spéculation. Des espèces de marchands forains s’en allaient de village en village et de château en château, achetant à vil prix, des gentilshommes campagnards, leurs âmes mortes, c’est-à-dire les paysans récemment décédés, mais portés encore sur les registres de capitation, qui ne se changent que tous les cinq ans ; puis, donnant les morts en hypothèque,