Page:Gogol - Nouvelles choisies Hachette - Viardot, 1853.djvu/51

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Je conseille à tout le monde d’écrire sur un morceau de papier le mot Espagne ; il deviendra Chine. Mais ce qui m’affligeait beaucoup, c’est un événement qui doit avoir lieu demain. Demain, à sept heures, il arrivera une chose étrange : la terre s’assiéra sur la lune. Le célèbre chimiste anglais Wellington a écrit là-dessus. J’avoue que je ressentis une angoisse au cœur quand je m’imaginai la mollesse extraordinaire et le peu de solidité de la lune. La lune se fait ordinairement à Hambourg, et elle s’y fait très-mal. Je m’étonne que l’Angleterre n’y ait pas fait attention jusqu’à présent. C’est un tonnelier boiteux qui la fabrique, et l’on voit que cet imbécile n’a pas la moindre idée de ce que c’est que la lune. Il y met des câbles goudronnés et un peu d’huile d’olive ; c’est pour cela qu’il règne une si grande puanteur sur toute la terre que tout le monde doit se boucher le nez. Et voilà pourquoi la lune est un globe tellement tendre et mou que les hommes ne peuvent pas y vivre, et qu’il n’y vit que des nez. Et voilà pourquoi nous ne pouvons pas voir nos nez ; ils se trouvent tous dans la lune. Et quand je me rappelai que la terre est une masse lourde, et qu’elle peut, en s’asseyant sur la lune, broyer tous nos nez, une si grande inquiétude me saisit que je me hâtai, après avoir mis mes bas et mes souliers, de me rendre dans la salle du conseil