Page:Gogol - Tarass Boulba, Hachette, 1882.djvu/117

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se mit à sangloter. Dans ce moment la rue retentit de cris confus, de trompettes et de tambours. Mais Andry ne les entendait pas ; il ne sentait rien autre chose que la tiède respiration de la jeune fille qui lui caressait la joue, que ses larmes qui lui baignaient le visage, que ses longs cheveux qui lui enveloppaient la tête d’un réseau soyeux et odorant.

Tout à coup la Tatare entra dans la chambre en jetant des cris de joie.

— Nous sommes sauvés, disait-elle toute hors d’elle-même ; les nôtres sont entrés dans la ville, amenant du pain, de la farine, et des Zaporogues prisonniers.

Mais ni l’un ni l’autre ne fit attention à ce qu’elle disait. Dans le délire de sa passion, Andry posa ses lèvres sur la bouche qui effleurait sa joue, et cette bouche ne resta pas sans réponse.

Et le Cosaque fut perdu, perdu pour toute la chevalerie cosaque. Il ne verra plus ni la setch, ni les villages de ses pères, ni le temple de Dieu. Et l’Ukraine non plus ne reverra pas l’un des plus braves de ses enfants. Le vieux Tarass s’arrachera une poignée de ses cheveux gris, et il maudira le jour et l’heure où il a, pour sa propre honte, donné naissance à un tel fils !