Page:Gogol - Tarass Boulba, Hachette, 1882.djvu/153

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l’instant même, et d’attendre l’obscurité de la nuit pour ne pas laisser voir à l’ennemi la diminution de l’armée. Cela fait, ils allèrent dîner, groupés par kouréni. Après dîner, tous ceux qui devaient se mettre en route se couchèrent et dormirent d’un long et profond sommeil, comme s’ils eussent pressenti que c’était peut-être le dernier dont ils jouiraient aussi librement. Ils dormirent jusqu’au coucher du soleil ; et quand le soir fut venu, ils commencèrent à graisser leurs chariots. Quand tout fut prêt pour le départ, ils envoyèrent les bagages en avant ; eux-mêmes, après avoir encore une fois salué leurs compagnons de leurs bonnets, suivirent lentement les chariots ; la cavalerie marchant en ordre, sans crier, sans siffler les chevaux, piétina doucement à la suite des fantassins, et bientôt ils disparurent dans l’ombre. Seulement le pas des chevaux retentissait sourdement dans le lointain, et quelquefois aussi le bruit d’une roue mal graissée qui criait sur l’essieu.

Longtemps encore, les Zaporogues restés devant la ville leur faisaient signe de la main, quoiqu’ils les eussent perdus de vue ; et lorsqu’ils furent revenus à leur campement, lorsqu’ils virent, à la clarté des étoiles, que la moitié des chariots manquaient, et un nombre égal de leurs frères, leur cœur se serra, et tous devenant pensifs involontairement, baissèrent vers la terre leurs têtes turbulentes.