Page:Gogol - Tarass Boulba, Hachette, 1882.djvu/164

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décharges s’étendit au loin dans les plaines environnantes, comme un roulement continu. Le champ de bataille était couvert de fumée, et les Zaporogues tiraient toujours sans relâche. Ceux des derniers rangs se bornaient à charger les armes qu’ils tendaient aux plus avancés, étonnant l’ennemi qui ne pouvait comprendre comment les Cosaques tiraient sans recharger leurs mousquets. Dans les flots de fumée grise qui enveloppaient l’une et l’autre armée, on ne voyait plus comment tantôt l’un tantôt l’autre manquait dans les rangs ; mais les Polonais surtout sentaient que les balles pleuvaient épaisses, et lorsqu’ils reculèrent pour sortir des nuages de fumée et pour se reconnaître, ils virent bien des vides dans leurs escadrons. Chez les Cosaques, trois hommes au plus avaient péri, et ils continuaient incessamment leur feu de mousqueterie. L’ingénieur étranger s’étonna lui-même de cette tactique qu’il n’avait jamais vu employer, et il dit à haute voix :

— Ce sont des braves, les Zaporogues ! Voilà comment il faut se battre dans tous les pays.

Il donna le conseil de diriger les canons sur le camp fortifié des Cosaques. Les canons de bronze rugirent sourdement par leurs larges gueules ; la terre trembla au loin, et toute la plaine fut encore noyée sous des flots de fumée. L’odeur de la poudre s’étendit sur les places et dans les rues des villes