— Et ta seigneurie pense qu’il suffit tout bonnement de prendre une bête à l’écurie, de l’attacher à une charrette, et – allons, marche en avant ! – Ta seigneurie pense qu’on peut la conduire ainsi sans l’avoir bien cachée ?
— Eh bien ! cache-moi, comme tu sais le faire ; dans un tonneau vide, n’est-ce pas ?
— Ouais ! ta seigneurie pense qu’on peut la cacher dans un tonneau ? Est-ce qu’elle ne sait pas que chacun croira qu’il y a de l’eau-de-vie dans ce tonneau ?
— Eh bien ! qu’ils croient qu’il y a de l’eau-de-vie !
— Comment qu’ils croient qu’il y a de l’eau-de-vie ! s’écria le juif, qui saisit à deux mains ses longues tresses pendantes, et les leva vers le ciel.
— Qu’as-tu donc à t’ébahir ainsi ?
— Est-ce que ta seigneurie ignore que le bon Dieu a créé l’eau-de-vie pour que chacun puisse en faire l’essai ? Ils sont là-bas un tas de gourmands et d’ivrognes. Le premier gentillâtre venu est capable de courir cinq verstes après le tonneau, d’y faire un trou, et, quand il verra qu’il n’en sort rien, il dira aussitôt : « Un juif ne conduirait pas un tonneau vide ; à coup sûr il y a quelque chose là-dessous. Qu’on saisisse le juif, qu’on garrotte le juif, qu’on enlève tout son argent au juif, qu’on mette