Page:Gogol - Tarass Boulba, Hachette, 1882.djvu/97

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guerrière de Cosaque, tout le passé renaquit aussitôt, et le présent s’évanouit à son tour. Alors reparut à la surface de sa mémoire une image de femme avec ses beaux bras, sa bouche souriante, ses épaisses nattes de cheveux. Non, cette image n’avait jamais disparu pleinement de son âme ; mais elle avait laissé place à d’autres pensées plus mâles, et souvent encore elle troublait le sommeil du jeune Cosaque.

Il marchait, et ses battements de cœur devenaient de plus en plus forts à l’idée qu’il la verrait bientôt, et ses genoux tremblaient sous lui. Arrivé près des chariots, il oublia pourquoi il était venu, et se passa la main sur le front en cherchant à se rappeler ce qui l’amenait. Tout à coup il tressaillit, plein d’épouvante à l’idée qu’elle se mourait de faim. Il s’empara de plusieurs pains noirs ; mais la réflexion lui rappela que cette nourriture, bonne pour un Zaporogue, serait pour elle trop grossière. Il se souvint alors que, la veille, le kochévoï avait reproché aux cuisiniers de l’armée d’avoir employé à faire du gruau toute la farine de blé noir qui restait, tandis qu’elle devait suffire pour trois jours. Assuré donc qu’il trouverait du gruau tout préparé dans les grands chaudrons, Andry prit une petite casserole de voyage appartenant à son père, et alla trouver le cuisinier de son kourèn, qui dormait étendu entre deux marmites sous lesquelles fumait encore