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MÉMOIRES D’UN FOU

si laide que tu en as envie de cracher[1] ; regarde pourtant quels émoluments il touche ! Ne va pas lui porter une tasse en porcelaine dorée. « Cela, dirait-il, est un présent de docteur. » Mais donne-lui une paire de trotteurs, ou un drochki[2], ou une fourrure de castor de trois cents roubles. À première vue il est très doux, il vous dit très délicatement : « Ayez l’obligeance de me donner un canif pour tailler une plume », et pourtant il nettoie si bien le solliciteur, que celui-ci ne garde que sa chemise. À la vérité, le service, chez nous, est distingué ; il y règne partout une telle propreté que la régence du gouvernement n’en aura jamais une pareille ; les tables sont en acajou, et les chefs ne tutoient pas… Oui, je l’avoue, si ce n’avait été cette distinction du service, j’aurais quitté le ministère depuis longtemps.

Je revêtis un vieux manteau, et pris un parapluie, car il tombait une pluie battante. Il n’y avait personne dans les rues ; seules, quelques vieilles femmes, se protégeant du revers de leur

  1. Cracher est un signe de mépris, très usité en Russie.
  2. Sorte de voiture.