Page:Goldenweiser - Le Crime comme peine, la peine comme crime.djvu/40

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fort mécontentement, frisant l’indignation. On ne peut autrement l’envisager que comme un malentendu de leur part, provenant de leur amour-propre blessé à tort qui les a empêchés de se placer au vrai point de vue de l’auteur. Pour Tolstoï, le tribunal criminel est non seulement une institution superflue, vaine et barbare, mais encore contraire à la nature humaine. Comment se fait-il donc que des individus, de leur propre volonté et par pure inclinaison, peuvent si longtemps et en si grand nombre, faire une besogne tellement contraire à la nature ? Tolstoï l’explique, parce qu’en réalité, rendant ce qu’on appelle la justice, ils s’occupent au fond de leur âme de choses complètement étrangères à la question. Ils remplissent leurs fonctions soit machinalement, par habitude, soit par curiosité quand ces fonctions sont encore nouvelles pour eux, mais ils ne sentent pas le point capital du tribunal criminel dans toute sa terrible signification.

La raison de ce que les juges, pendant l’exercice de leurs fonctions, n’envisagent pas le châtiment criminel dans toute son étendue, trouve son explication chez Tolstoï dans le partage du travail et des fonctions, dans l’organisation artificielle de la société moderne, qui, loin de donner les résultats les plus élevés et les plus parfaits que pourrait obtenir l’activité partagée, n’aboutit qu’à ce que, participant à une même œuvre barbare, dans laquelle séparément chacun d’eux joue un rôle, les juges ne se rendent aucun compte de ce qu’ils