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Page:Goldoni - Les chefs d'oeuvres dramatiques, trad du Rivier, Tome I, 1801.djvu/122

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Comédie.

Bonfil.

L’air de Paris ne vaut rien pour naviguer sur le canal de Londres.


Scène XVI.

Les Mêmes, ERNOLD, (Isac donne un siége et sort.)
Ernold (avec beaucoup de légéreté.)


Mylord Bonfil, mylord Artur mes bons amis, mes chers amis, votre serviteur de tout mon cœur.

Bonfil.

Soyez le bien venu, mon ami. Asseyez-vous.

Artur.

Je suis enchanté de vous voir de retour dans votre patrie.

Ernold.

Vous ne m’y verrez pas long-temps.

Artur.

Pourquoi donc cela ?

Ernold[1].

Est-ce qu’il est possible de rester à Londres ? Oh !

  1. Le caractère d’Ernold est d’une originalité piquante, et contraste heureusement avec la gravité vraiment anglaise des autres personnages ; et c’est en cela sur-tout que nous paroît consister ici le mérite de Goldoni : tout dépend de la situation. Partout ailleurs, Ernold ne serait qu’un fat ridicule, et un bavard importun ; ici, c’est un Anglais pour ainsi dire dénaturalisé par ses voyages, et qui voudrait que son exemple opérât la même révolution sur des têtes que l’âge et la raison ont d’avance prémunies contre le danger de l’influence. Cette scène est très-plaisante, et placée avec adresse immédiatement après celle où Bonfil et Artur ont sérieusement discuté des objets de la plus haute importance. Sous le rapport moral, quelle excellente leçon Ernold ne donne-t-il pas, sans s’en douter, à tous ceux qui se font une malheureuse habitude de juger superficiellement des choses, et de borner leurs prétendues observations à cela seul qui n’en mériterait aucune de leur part ?

    Voici le début d’Ernold dans la pièce française :

     « Cher Bonfil, cher Artur, je vous retrouve… ensemble !
    » Deux Anglais ! deux penseurs qu’un même goût rassemble !
    » Unis des nœuds constans d’une vieille amitié…
    » Ah ! c’est très-bien ; d’honneur, j’en suis édifié… ! »

    Que voilà bien le misérable jargon du jour, et le ton malheureusement trop ordinaire que prennent la plupart de nos jeunes gens et qu’affectent ceux-mêmes à qui il devrait être le plus étranger ! Si l’on ne voulait pas du moins que cela fût beau !

    Ernold continue :

     « Ciel ! avec quel plaisir un voyageur varie
    » L’uniforme couleur des tableaux de la vie !
    » Quand on reste chez soi, l’on se voue à l’ennui.
    » Londres sera demain ce qu’il est aujourd’hui,
    » Ce qu’il était hier ; la belle perspective !
    » Le monde entier suffit à peine à l’ame active :
    » Il me faut chaque jour du neuf, du surprenant.
    » Que veut-on que je fasse à Londres maintenant ? »