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Page:Goldoni - Les chefs d'oeuvres dramatiques, trad du Rivier, Tome I, 1801.djvu/130

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Comédie.

masque plaisant que cet arlequin[1] ! c’est un meurtre vraiment que nos Anglais excluent les masques du théâtre de Londres. Si l’on pouvait introduire l’arlequin dans nos comédies ce serait la chose du monde la plus agréable. C’est une espèce de valet balourd et adroit en même temps : son masque est tout-à-fait plaisant, son habit chamarré de diverses couleurs ; c’est à mourir de rire. Croyez-moi, mes amis, tout votre sérieux n’y tiendrait pas, et vous ririez malgré vous en le voyant. Ses lazzis sont très-spirituels : en voilà quelques-uns que j’ai retenus. Au lieu de dire padrone, il dira poltrone, pour dottore, dolore ; pour lettera, lettiera ; il parle toujours de manger, est très-impudent auprès des femmes et bâtonne son maître d’importance.

Artur (se lève.)

Mylord, mes amis au plaisir de vous revoir. (Il sort.)

Ernold[2].

Vous vous en allez. Tenez, je me rappelle un trait charmant, il est impossible de n’en pas rire. Dans une seule pièce, arlequin, pour tromper un vieil imbécille qu’on nomme Pantalon, se déguise alternativement en More, en statue ambulante, en squelette ; et à la fin de chacun de ces rôles différens, le pauvre vieillard est régalé d’une bonne volée de coups de bâtons.

Curbrech (se lève).
(À Bonfil).

Mille pardons, mon ami ; mais je n’en puis plus.

(Il sort.)
Ernold.

Voilà ce que c’est que de ne pas avoir voyagé.

  1. On reconnaît dans cette critique ingénieuse des plates bouffoneries qui, malgré les efforts et les succès de Goldoni, avilissaient encore la scène italienne, l’aversion que ce grand homme avait pour les masques de la comédie de l’art, dont nous avons parlé dans le discours préliminaire.
  2. Il est impossible de mieux caractériser la fatuité qui veut trancher sur tout, et l’ignorance qui choisit, pour autoriser son jugement, celui de tous les exemples qui le condamne le plus positivement. Quelle censure ingénieuse des applaudissemens trop souvent prodigués sur d’autres théâtres encore que ceux d’Italie, à de pitoyables jeux de mots, à des calembourgs ridicules, à des pièces même entières, où le bon sens, les mœurs et la poésie sont également outragés tous les jours.