Aller au contenu

Page:Goldoni - Les chefs d'oeuvres dramatiques, trad du Rivier, Tome I, 1801.djvu/132

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
93
Comédie.

Bonfil[1].

Sir Ernold, si tout cela vous fait rire, je ne sais, ma foi, plus que penser de vous. Jamais vous ne me ferez accroire que les gens d’esprit de l’Italie puissent s’amuser de pareilles platitudes. Le rire est naturel à l’homme ; mais la même chose ne fait pas rire tous les hommes. Il est un rire noble qui résulte d’un mot agréable, du sel d’une plaisanterie délicate, ou d’une saillie brillante. Mais il est un rire bas et grossier qu’excite la bouffonnerie, et, tranchons le mot, la platitude. Permettez-moi de vous parler avec la franchise dont un parent peut user : vous avez voyagé trop tôt ; il eût fallu que de meilleures études précédassent vos voyages. L’histoire, la chronologie, le dessin, les mathématiques, la vraie et bonne philosophie, voilà les sciences les plus utiles au voyageur. Si vous vous en fussiez sérieusement occupé, avant que de sortir de Londres vous n’eussiez point berné vos observations aux galas de Vienne, à la galanterie de Paris, à l’arlequin de l’Italie. (Il sort.)

Ernold.

Il ne sait ce qu’il dit : il parleroit bien autrement, s’il avait voyagé. (Il sort.)

  1. Artur n’a pas daigné réfuter les misérables raisonnemens d’Ernold ; mylord Curbrech n’a pu les entendre plus long-temps : Bonfil seul peut et doit leur répondre ; et il le fait avec tout l’ascendant que lui donnent sur un jeune étourdi, son nom, la solidité de son esprit, et son titre de parent. Ainsi tout concourt à le rendre plus intéressant aux yeux du spectateur ; et les ridicules de son neveu ne servent qu’à faire admirer en lui un mérite de plus : c’est le comble de l’art.

    Ce couplet nous a paru un peu affaibli dans la pièce française : le voici :

     « Sir Ernold, je vous parle avec cette franchise
    » Qu’entre nous l’amitié, le sang même autorise.
    » Vous nous avez quittés trop jeune, j’en suis sûr ;
    » Et si pour voyager vous eussiez été mûr,
    » Vous auriez rapporté d’une course lointaine
    » Tout autre souvenir que les galas de Vienne
    » Les lazzis d’Arlequin au parterre adressés,
    » Et les airs de Paris… qui ne sont pas sensés. »

    (Acte II, Sc. XIII.)