Aller au contenu

Page:Goldoni - Les chefs d'oeuvres dramatiques, trad du Rivier, Tome I, 1801.djvu/162

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
123
Comédie.

moment l’oreille à la passion qui vous flatte, pour l’ouvrir à l’amitié qui vous conseille. Arrêtez-vous pour un moment à la vérité constante de ce principe ; que le devoir de l’honnête homme est de préférer son honneur à l’amour, et de soumettre les sens à l’empire de la raison. Je vous accorderai tout, si vous voulez, pour justifier l’erreur où vous jette votre passion. Je veux qu’il soit vrai qu’elle n’offense point l’honneur ; plus vrai encore que les lois ne s’y opposent point ; que l’on dise même que les enfans ne perdent presque rien à une semblable alliance. Mais écoutez les conséquences infaillibles, inévitables de votre conduite ; et résignez-vous y d’avance, si vous osez les braver. Vos parens se plaindront hautement de vous : ils se croiront outragés aussi de l’injure que vous aurez faite à votre propre sang, et vous déclareront à jamais comptable envers leur honneur. Vous deviendrez la fable de Londres. Dans les cercles, dans les veillées, à table, à la promenade, par-tout on parlera de vous avec l’expression du mépris. Mais un homme qui a tout sacrifié à la violence de son amour peut aisément braver tout cela. Écoutez maintenant, écoutez ce qu’il vous sera impossible de souffrir les outrages faits à votre épouse. Il lui

    Cependant l’Angleterre, en ce point abusée
    Consacra, dans ses lois, la maxime opposée ;
    De la philosophie on vante les progrès :
    Mais, hélas ! qu’ils sont lents ! combien peu d’esprits vrais
    Osent ouvrir les yeux à sa clarté féconde !
    La coutume est encor le tyran de ce monde, etc.

    (Acte III, Sc. VIII.)

    Il n’y a pas une de ces maximes qui n’ait été complètement réfutée par celui de tous les raisonnemens auquel seul il est impossible de rien opposer, l’expérience ! et quelle expérience ! Mais il y aurait trop à dire à ce sujet ; et une simple note n’est pas une discussion politique. Bornons-nous à plaindre l’estimable auteur de Paméla d’avoir été forcé de payer ce tribut philosophique à l’erreur du moment ; et plaignons-le d’autant plus, que, victime lui-même de cette prétendue philosophie, il doit sentir mieux que personne combien l’abus touche l’usage de près dans des matières aussi importantes.