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Page:Goldoni - Les chefs d'oeuvres dramatiques, trad du Rivier, Tome I, 1801.djvu/246

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207
Comédie.

Isac.

Il a été attaqué d’un horrible évanouissement. (Il sort.)

Paméla (à part.)

Oh ! Dieu !

Mme Jeffre.

Mon pauvre maître ! Je vole à son secours.

Paméla.

Ah ! courez-y bien vite, madame Jeffre.

Mme Jeffre.

Ah ! Paméla, il aurait bien plus besoin de vous que de moi. (Elle sort)

Paméla (à part.)

Faut-il, hélas ! que la décence m’empêche d’y aller.

Ernold.

Pourquoi donc, Paméla, ne voles-tu pas aussi au secours de ton maître ? peut-être fais-tu la cruelle, parce que nous sommes ici.

Paméla[1].

Monsieur, maintenant que Mylord est de retour, vous m’inspirez moins de frayeur, et je vous parlerai avec plus de liberté. Pour qui me prenez-vous ? Je suis pauvre, mais honnête ; je mange le pain d’autrui, mais je le mange avec honneur. Je suis entré dans cette maison au service de la mère, et non pas du fils ; la mère n’est plus et le fils n’a pas dû me chasser de chez lui. Si Myladi désirait de m’avoir, elle devait savoir m’obtenir de son frère. S’il refuse

  1. Sir Ernold, Mylord est de retour,
    Et je vais vous parler sans crainte et sans détour.
    Connaissez-moi, du moins. Je suis pauvre, mais sage.
    Je sers : de commander tous n’ont pas l’avantage,
    Et, pour être sans bien, l’on n’est pas sans honneur.
    La mère de Mylord a voulu mon bonheur.
    Hélas ! elle n’est plus. À ses ordres docile,
    Son fils, dans sa maison, me conserve un asile.
    C’est de lui que sa sœur me devait obtenir.
    S’il refuse, il est maître, et je dois obéir.
    Fidelle aux sentimens que m’inspira sa mère,
    J’y puisai cet orgueil qui semble vous déplaire.
    Je le conserverais dans un état plus bas ;
    C’est l’orgueil de l’honneur… mais vous n’y croyez pas.
    Pour avoir fréquenté quelques femmes frivoles,
    D’un siècle dépravé, méprisables idoles ;
    Ainsi l’on méconnaît les traits de la vertu :
    Quand le cœur est gâté, l’œil même est corrompu.
    Votre oreille est peu faite à ce langage austère :
    Mais dût-il m’attirer votre injuste colère,
    Je me flatte du moins de vous avoir appris
    Que je sais tout braver, excepté le mépris :
    Que la rigueur du sort n’a rien qui m’humilie
    Et qu’enfin Paméla ne peut être avilie.

    (Acte IV, Sc. III.)

    Comme l’enthousiasme de traducteurs ne nous aveuglera jamais, nous avouerons avec plaisir que l’auteur français a embelli et heureusement corrigé ici son modèle. Le langage noble et simple à la fois qu’il prête à sa Paméla, est infiniment supérieur au couplet original. Voilà ce qu’elle devait dire, et non point donner à Ernold des leçons dont elle est bien sûre qu’il ne profitera pas. D’ailleurs, elle doit se borner à sa justification tout ce qu’elle dit de plus est au moins inutile.