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Page:Goldoni - Les chefs d'oeuvres dramatiques, trad du Rivier, Tome I, 1801.djvu/252

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Comédie.

Ernold.

Eh bien ! que vous importe ?

Myladi.

Comment ! Je tolérerais cette tache à mon sang ?

Ernold[1].

Quelle tache ! quel sang ! Quelles foiblesses sont-ce là ? folies, pures folies. Moi qui ai voyagé, j’ai vu cent exemples de ces sortes de mariages. Le monde rit, les parens criaillent ; mais, comme dit le proverbe, une merveille ne dure que trois jours. Allons voir un peu ce que fait Mylord. (Il sort.)


Scène XVI.

Myladi (seule.)


D’après ce que je viens d’entendre, mon neveu serait tout disposé à faire pire encore que mon frère. Une femme qui penserait ainsi deviendrait le jouet du monde et allumerait contre elle le ressentiment, la malédiction et la vengeance. Malheureuses femmes ! Mais, si tant d’autres ont la bassesse de souffrir j’enseignerai aux plus timides comment se vengent nos affronts. Oui, si mon frère persiste dans son fol amour je ferai périr Pamela[2].

Fin du second Acte.
  1. Point de tache à cela, ma tante : eh ! mon dieu non.
    Quels sont vos préjugés ! cette noble manie
    N’existe tout au plus que dans la Germanie.
    Les hymens inégaux sont ailleurs très-fréquens :
    J’en ai vu. Le public lâche des mots piquans,
    La famille se plaint, l’un en rit, l’autre en glose ;
    Mais au bout de huit jours, on parle d’autre chose.

    (Acte IV, Sc. IV.)
  2. Voilà deux fois que ce mot affreux sort de la bouche de Myladi, et toujours à la fin d’un acte ; ce qui donnerait lieu de croire que, dans l’intervalle d’un acte à l’autre, elle va s’occuper, sinon de l’horrible exécution d’un pareil projet, du moins des moyens de noircir Pamela auprès de son frère, de la mettre dans quelque situation périlleuse, et d’ajouter par-là à l’intérêt qu’elle inspire ; mais la situation reste la même, l’action ne fait pas un pas, et ce sont par conséquent des méchancetés gratuites, qu’il faut toujours épargner au spectateur. En général, on peut dire que cet ouvrage est riche en beaux détails, mais un peu vide d’action, et trop dénué de ce mouvement dramatique qui attache et entraîne le spectateur. La marche des deux premiers actes est lente et embarrassée, et l’on désirerait plus de chaleur dans le troisième. L’arrivée du père de Pamela n’y produit point assez d’effet : c’était le cas cependant, ou jamais, d’observer le précepte de Boileau :

    Que le trouble toujours croissant de scène en scène
    À son comble arrivé se débrouille sans peine.
    L’esprit ne se sent point plus vivement frappé,
    Que lorsqu’en un sujet d’intrigue enveloppé,
    D’un secret tout-à-coup la vérité connue
    Change tout, donne à tout une face imprévue.

    (Art poétique, Chant III.)