Aller au contenu

Page:Goldoni - Les chefs d'oeuvres dramatiques, trad du Rivier, Tome I, 1801.djvu/266

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
227
Comédie.

Artur.

Il poussoit de fréquens soupirs ; et à peine fumes-nous hors de Londres qu’il tomba évanoui entre mes bras.

Mme Jeffre.

Vous avez bien fait de revenir sur vos pas.

Artur.

Je lui prodiguai les secours de quelqu’eau spiritueuse ; mais il n’a repris la respiration qu’à l’aspect de son hôtel.

Mme Jeffre.

C’est ici, Mylord, c’est ici qu’est le remède de son mal.

Artur.

Il aime Paméla ?

Mme Jeffre.

S’il l’aime ! il l’adore.

Artur.

Pamela est sage ?

Mme Jeffre.

Elle est infiniment honnête.

Artur.

Il faut qu’elle se sépare de lui nécessairement.

Mme Jeffre.

Mais ne pourrait-il pas…… ?

Artur.

Quoi faire ?

Mme Jeffre.

L’épouser ?

Artur[1].

Madame Jeffre, ces sentimens-là sont indignes de

  1. ARTUR.

    ..........Oui cela pourrait être,
    S’il était entouré de parens moins altiers.
    Mais je les connais trop. L’orgueil de leurs quartiers
    Ne descendra jamais jusqu’à l’objet qu’il aime :
    Ils lui reprocheraient de s’avilir lui-même.

    L’auteur Français ayant absolument décidé de faire d’Artur unphilosophe à sa manière, il a bien fallu affaiblir nécessairement, dénaturer même quelquefois les traits principaux du caractère original. Nous en avons vu déjà un exemple, et nous en retrouverons encore. Ce qu’Artur dit ici à Jeffre, dans Goldoni, est le langage d’un honnête homme, d’un ami vrai, qui ne voit, qui ne cherche et ne désire que le bonheur de son ami, et qui voudrait que tout le monde y contribuât avec lui. Dans la pièce Française, au contraire, ce n’est plus qu’un homme faible, qui sacrifie volontiers son opinion, son rang, sa dignité ; et qui trouverait tout naturel que Bonfil épousât une servante, (car enfin Paméla n’est que cela encore à ses yeux) s’il n’avait à redouter l’orgueil de ses parens, et leur juste respect pour un nom qu’ils craignent de voir avili.