Aller au contenu

Page:Goldoni - Les chefs d'oeuvres dramatiques, trad du Rivier, Tome I, 1801.djvu/292

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
253
Comédie.

Bonfil.

Asseyez-vous.

Andreuss.

Je voudrais vous dévoiler un secret ; mais il peut me coûter la vie.

Bonfil.

Vous pouvez compter sur ma parole

Andreuss.

Je m’abandonne, je me livre à vous. Andreuss n’est point mon nom : je suis un malheureux coupable de rebellion envers l’état, le comte Auspingh, qui tient un rang distingué dans la noblesse d’Écosse.

Bonfil[1].

Quoi ! vous le comte Auspingh !

Andreuss.

Oui, Mylord. Il y a trente ans à présent que dans les dernières révolutions de l’Angleterre, j’ai levé le premier l’étendart de la révolte. Quelques-uns de mes complices furent pris et décapités : d’autres

  1. Bonfil.

    Le capitaine Auspingh ! ce fameux Écossais ?

    Andreuss.

    Fameux par des revers, plus que par des succès.
    Je fus, bien jeune encor, dans une longue guerre,
    L’un des premiers auteurs des troubles d’Angleterre ;
    Et je prouvai du moins qu’un simple roturier
    Peut de Mars comme un autre obtenir le laurier.

    L’auteur a, comme on voit, substitué au comte d’Auspingh, à un homme de la première distinction, un brave et vieux militaire, qui n’est point noble à la vérité, mais qui s’est long-temps distingué par sa valeur, et qui a sauvé les jours du père de Bonfil ; c’est un intérêt de plus répandu sur ce personnage, et ce changement est en général très-heureux. Quelles que soient les raisons alléguées, Goldoni dans la préface italienne, il n’en est pas moins vrai que le but moral et vraiment philosophique de la pièce disparaît entièrement, dès l’instant que Bonfil, en épousant Paméla, ne fait plus qu’un mariage assorti de toutes les manières, et contre lequel il n’y a plus d’objection : ce n’est plus la vertu qu’il récompense ; c’est le hasard heureux de se trouver tout-à-coup la fille d’un homme de qualité. L’auteur anglais, et Voltaire, dans sa Nanine, se sont bien gardés d’affaiblir ainsi la leçon qu’ils se proposaient de donner. Audreuss continue :

    Vainqueur, je fus humain, et sus me faire aimer :
    Vaincu, je me fis craindre, et me fis estimer.
    Mais le sort nous trahit : la victoire inconstante,
    Sur le trône a fixé la ligue protestante.
    De mes amis, plusieurs sur l’échafaud sont morts.
    D’autres chez l’étranger se sauvèrent alors.
    Ces émigrans voulaient m’engager à les suivre :
    Mais hors de son pays, malheur à qui peut vivre !
    Dans sa patrie, hélas ! quoiqu’on puisse souffrir
    Ah ! c’est où l’on naquit, c’est là qu’il faut mourir.

    Rien de mieux sans doute ; rien de plus louable que cette maxime, dont l’application est sensible, et devrait être générale. Mais lorsque, par un renversement inconcevable d’idées, c’est la patrie dénaturés qui s’arme elle-même contre ses enfans, qui en proscrit une partie qu’elle abandonne aux poignards de l’autre, dans ce cas, qui malheureusement n’est pas une supposition, doit-on, peut-on même décemment crier anathème à qui peut vivre hors de son pays !