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Page:Goldoni - Les chefs d'oeuvres dramatiques, trad du Rivier, Tome I, 1801.djvu/296

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257
Comédie.

Andreuss.

Mylord, vous ne répondez rien ?

Bonfil[1].

Je vais vous répondre en deux mots. Votre récit a porté la consolation dans mon ame. Je prends avec vous l’engagement sacré de vous remettre en grâce avec le Prince ; et votre Paméla, ma chère Pamela sera mon épouse.

  1. Bonfil.

    Avec vous cependant il faut que je m’explique.
    Vous fûtes un des chefs du parti catholique,
    L’un des plus acharnés contre les protestans,
    Et votre fille ici, dès ses plus jeunes ans,
    Bien loin de partager les préjugés d’un père,
    Parut toujours soumise aux lois de l’Angleterre.

    Andreuss.

    Mylord, il est très-vrai : contre les réformés
    Par un zèle fougueux mes bras furent armés.
    Je croyais venger Dieu ! mais dans ma solitude,
    L’âge, l’expérience, une tardive étude,
    Ont dessillé mes yeux ; j’ai connu mon erreur
    Et j’ai de nos chrétiens détesté la fureur.
    L’on fit Dieu trop long-temps à l’image de l’homme.
    De courageux esprits, bravant Genève et Rome,
    Ont enfin démasqué le fanatisme affreux,
    Et quiconque sait lire, est éclairé par eux.
    11 n’est plus d’ignorant que celui qui veut l’être,
    L’erreur avait fondé la puissance du prêtre,
    Mais sur l’homme crédule, un empire usurpé
    Doit cesser aussitôt que l’homme est détrompé.
    L’Angleterre l’éprouve, et des sectes rivales,
    Elle oublie aujourd’hui les discordes fatales.
    Chacun prie à son gré ; les amis, les parens
    Suivent, sans disputer, des cultes différens.
    Ma femme est protestante ; et dans votre croyance
    Elle a de Paméla nourri la tendre enfance.
    Lorsque j’obtins sa main, ce point lui fut promis :
    Je crus que, sans scrupule, il pouvait être admis.
    Eh ! qu’importe qu’on soit protestant ou papiste ?
    Ce n’est pas dans les mots que la vertu consiste.
    Pour la morale, au fond, votre culte est le mien :
    Cette morale est tout, et le dogme n’est rien.
    Ah ! les persécuteurs sont les seuls condamnables,
    Et les plus tolérans, sont les plus raisonnables.

    Bonfil.

    Tous les honnêtes gens sont d’accord là-dessus.
    Vos principes un jour par-tout seront reçus…, etc.

    Voilà donc où conduit l’ambition, et, disons-le franchement, la manie de répandre par-tout le jargon philosophique, et de répéter, en vers faibles, prosaïques et décousus, ce qui a été dit vingt fois, toujours plus à propos, et toujours beaucoup mieux ? À quoi bon cette longue et fatigante déclamation ! Est-elle amenée par le sujet, liée à l’action, indiquée seulement dans l’original ? Son objet même ne l’excluait-il pas nécessairement de la scène ! Nous ne sommes ni prêtres ni théologiens ; et, fussions-nous l’un et l’autre, une note littéraire ne peut devenir une thèse théologique : nous nous bornerons à observer seulement que ces courageux esprits qui ont bravé Genève et Rome, qui ont démasqué le fanatisme affreux, qui ont éclairé tout ce qui savait lire, ont fait aussi des Révolutions ; et que cela diminue un peu, à de certains yeux, le prix des autres bienfaits.

    Nous observerons, en notre qualité de littérateurs, que ce vers,

    L’erreur avait fondé la puissance du prêtre,

    n’est qu’une imitation faible de celui-ci d’Œdipe,

    Notre crédulité fait toute leur science.

    et nous ajouterons, comme homme et comme français, qu’il n’était peut-être pas très-philosophique de déclamer contre les prêtres, dans le temps même où on les égorgeait avec une férocité dont il n’existait pas d’exemple. Comment ose-t-on s’écrier :

    Ah ! les persécuteurs sont les seuls condamnables,
    Et les plus tolérans sont les plus raisonnables,

    lorsqu’on donne soi-même le signal de la persécution, et l’exemple de l’intolérance la plus dangereuse, comme la moins philosophique ? Mais les philosophes ressemblent assez aux savans de Molière :

    Nul n’aura de l’esprit, hors nous et nos amis.

    et ces Messieurs nous diraient volontiers : nous vous tolérons tout excepté de ne pas penser comme nous, et sur-tout de nous contredire.