Page:Goldoni - Les chefs d'oeuvres dramatiques, trad du Rivier, Tome I, 1801.djvu/380

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Je ne l’ai jamais vu, et j’ignore si je puis me flatter d’être heureuse avec lui. Peu m’importe qu’il soit beau, je ne le désire pas charmant. Le plus beau, le plus brillant cavalier du monde pourrait avoir, à mes yeux, quelque chose de rebutant qui me déplairait, et me mettrait dans la nécessite de lui faire connaître mon aversion. Son caractère m’intéresse beaucoup plus que sa figure. Qui me le garantira humain, vertueux, traitable ? La richesse, l’éclat du rang ne me feront point illusion sur mon prétendu bonheur, si je n’ai pas la paix du cœur. Je veux, du moins, la défendre quoi qu’il en coûte, ainsi que ma liberté, présent chéri que j’ai reçu du ciel. Mon père, malgré mes nombreuses protestations, malgré une opposition formelle de ma part, a signé un contrat, dont le but est de me sacrifier. J’ai des parens à Milan, qui, convaincus par la force de mes raisons, me plaignent sincèrement : eh bien ! pour m’ôter l’espoir de toute espèce de secours, mon père veut me conduire à Turin, me placer auprès de sa sœur qui a fait ce malheureux contrat ; et que l’époux futur me plaise ou me déplaise, il prétend me contraindre à m’enchaîner avec lui d’un nœud éternel. Je n’ai pu m’opposer à ce départ aussi subit qu’imprévu. Je me laisse conduire à Turin, mais résolue et très-résolue à protester de mon aversion, si je me sens de l’éloignement pour l’époux qu’on me destine. J’irai me jeter aux pieds du souverain ; je réclamerai contre les violences d’un père, bien décidée à me renfermer pour toujours dans un cloître, plutôt que de former un nœud désagréable, dangereux, et plus affreux pour moi que la mort même.

Le Marquis.

Je ne puis, Madame, ni condamner vos principes, ni combattre vos frayeurs et vos résolutions. Je vous plains au contraire, je vous loue ; et si j’étais celui que l’on vous destine, je vous laisserais une pleine et entière liberté, dans le cas où j’aurais le malheur de vous déplaire.