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Comédie.

Mme Jeffre (seule.)

Dans une heure au plus ! comme si c’était là des choses à faire si vite ? Quel parti prendre ? parlerai-je à Paméla ? lui parlerai-je en faveur de Mylord, ou pour fortifier en elle ses inclinations sages et vertueuses ? Si je décourage Monsieur, je perds ma fortune ; si je le seconde, je fais une action peu honnête…… J’y penserai ; et peut-être trouverai-je, en y réfléchissant, un moyen de sauver l’honneur de l’une, sans irriter la passion de l’autre. (Elle sort.)


Scène V.[1]

Paméla (seule.)


Cher anneau ! combien tu me serais plus cher encore, si je ne te tenais pas des mains de mon maître… ! que dis-je ? il perdrait trop à mes yeux, si tout autre que lui me l’eût donné. Il acquiert plus de prix cent fois de la main qui me l’offrit, que de la valeur du diamant. Mais si celui qui me l’a donné est mon maître, si je ne suis, moi, qu’une simple servante, à quel titre et pourquoi l’ai-je reçu ? Je suis flattée de le tenir de Mylord ; mais je ne voudrais pas que Mylord fût mon maître……

  1. Peut-être trouvera-t-on que Paméla alambique un peu ses idées, les tourne et retourne de plusieurs manières différentes, pour dire cependant toujours la même chose. Mais si l’on considère combien elle est fortement préoccupée du sentiment qu’elle exprime, on sera moins surpris qu’il se présente à son esprit sous toutes les formes possibles.

    L’auteur français est plus précis, mais plus sec peut-être aussi que l’auteur italien.

     » Chère bague ! à mes yeux que tu serais plus chère,
    » Si tu n’étais qu’un don de la plus tendre mère !
    » Mais peut-être le don perdrait-il de son prix,
    » S’il ne me venait pas de la main de son fils.
    » Non, ce n’est pas l’éclat dont le brillant rayonne,
    » Qui forme sa valeur ; c’est la main qui le donne.
    » Oh ! si le choix du ciel nous eût placé tous deux,
    » Lui dans mon rang obscur, moi dans son rang heureux !…

    (Acte I, Sc. VIII.)

    Cette dernière pensée rappelle ce beau mouvement de Zaïre, en parlant d’Orosmane.

     « Ah ! si le ciel sur lui déployant sa furie
    » Aux fers que j’ai portés eût condamné sa vie,
    » Ou mon amour me trompe, ou Zaïre aujourd’hui,
    » Pour l’élever à soi, descendrait jusqu’à lui. »

    (Acte I, Sc. I.)

    Tout le monde sait Zaïre par cœur ; mais c’est pour cela précisement que tout le monde aime à retrouver des vers de Zaïre.