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COMÉDIE.

Paméla.

Plus d’espoir d’obtenir le pardon de mon malheureux père !

Artur.

On aura plus de peine ; il ne faut cependant désespérer de rien. Votre digne époux compte des amis puissans ; j’unirai mes efforts aux siens, et avec le temps, nous obtiendrons enfin cette grâce désirée.

Paméla.

Puisse le ciel hâter cette heureuse époque ! Mon père est impatient ; je le suis autant que lui. Le séjour de Londres m’est insupportable à présent. Mylord mon époux, m’a promis de me conduire dans son comté de Lincoln ; mais tant que cette affaire importante ne sera point terminée, nous différerons notre départ, et il faudra, quoiqu’il m’en coûte, me résoudre à rester ici.

Artur.

Qui peut donc vous rendre si insupportable désormais le séjour de la ville ?

Paméla.

J’ai, depuis le peu de jours que je suis mariée, cent motifs de m’y déplaire.

Artur.

Peut-être votre époux ne vous témoigne-t-il pas aujourd’hui tout l’amour qui caractérisa ses premières démarches ?

Paméla[1].

Ah ! bien au contraire ! Son amour augmente de

  1. Ah ! bien loin d’affliger une épouse qu’il aime,
    Il est de mon bonheur plus jaloux que moi-même ;
    Et ses soins assidus, ses égards complaisans
    Loin de se démentir, croissent avec le temps.
    Mais, le dirai-je, hélas tant de soins pour me plaire,
    À ce cœur désolé ne rendent point un père !
    Ce fracas de plaisirs, ce tumulte pompeux,
    Ne font qu’arracher l’ame à l’objet de ses vœux :
    En puis-je supporter la contrainte odieuse,
    Moi, qui loin d’un époux ne saurais-être heureuse !
    Qui, dans ce tourbillon qui m’obsède toujours,
    Ne cherche que ses yeux, n’entends que ses discours !
    Comment puis-je souffrir un séjour où, sans cesse,
    On ravit à mon cœur l’objet de sa tendresse ?
    Où la distraction et la frivolité,
    Du vain nom de plaisir masquant leur nullité,
    Se font, depuis long-temps, une étude suprême
    De l’art de se tromper, de s’éviter soi-même,
    De consumer le jour dans le pénible emploi
    De colporter l’ennui que l’on traîne après soi ?
    Une visite part, une autre la remplace ;
    L’un vante ses chevaux, l’autre ses chiens de chasse,
    Et cet autre étalant sa more gravité,
    Fait naître la contrainte et mourir la gaité.
    ....................
    Libre alors de mes fers et rendue à moi-même.
    Je me retrouve enfin auprès de ce que j’aime :
    Je goûte cs plaisir si pur, si consolant,
    Que n’empoisonne plus un dégoût accablant.
    Des longs ennuis du jour un instant me console :
    Mais que ce doux instant rapidement s’envole !