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COMÉDIE.

Je n’ai pas la force de me conduire… La voix me manque, pour exhaler ma peine !

Paméla.

Père chéri ! ne vous affligez point ; je suis innocente ; et le Ciel n’abandonne pas l’innocence.

    Mylord Artur gémit sous le poids du soupçon,
    Et le trouble et l’effroi règnent dans ma maison !
    Quel ami reste encor à ma douleur mortelle ?
    Qui parlera pour moi ? Qui sont ceux dont le zèle… !

    Auspingh.

    Qui ! moi, ma fille, moi. Je cours me présenter
    Au prince ; à ses genoux j’oserai me jeter :
    Mes prières, mes pleurs, le désespoir d’un père…

    Paméla.

    Et vous ajouteriez ce comble à ma misère !
    Vous, dont les jours proscrits… n’ai-je donc point assez
    Des affronts, des périls, sur ma tête amassés ?
    Par ces genoux sacrés que ma douleur embrasse,
    Ne vous exposez point… Peut-être votre grâce…

    Auspingh.

    Eh ! qu’importe, dis-moi, cette vaine faveur,
    S’il la faut acheter aux dépens de l’honneur,
    Si ma fille succombe ou respire avilie !
    Vois ces cheveux : je touche aux bornes de ma vie :
    Mais je prétends mourir, ainsi que j’ai vécu,
    Sans souffrir, sans laisser de tache à ma vertu,
    J’abandonne aux bourreaux une vie expirante :
    Mais je sauve l’honneur d’une fille innocente ;
    Et mon sang lavera l’insupportable affront,
    Dont un soupçon honteux a fait rougir son front.
    On ne confondra point l’innocence et le crime :
    Et la loi satisfaite, en prenant sa victime…

    Paméla.

    Ah ! que proposez-vous à mes sens révoltés !

    Auspingh.

    Ce qu’ordonne l’excès de nos calamités.

    Paméla.

    Qui moi, je souffrirais qu’une tête si chère… !

    Auspingh.

    Ami, je le demande ; et je l’exige en père.
    Si vous m’aimez encor, si vous êtes mon sang,
    Et si vous partagez ce que mon cœur ressent,
    Laissez un libre cours au transport qui m’anime.
    Je vais à l’injustice arracher sa victime ;
    Démasquer les méchans qui vous osent flétrir ;
    Défendre la vertu, la venger, ou périr.