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Comédie.

Pirlon.

Je l’ai vue cette fatale affiche qui lui attirera nécessairement du chagrin ; et la charité m’a donné des ailes pour accourir le prévenir de ce qu’il en peut résulter, s’il n’y porte un prompt remède.

La Forêt.

Mais si sa comédie n’est que contre les hypocrites, est-ce que cette maudite engeance trouvera encore des protecteurs ?

Pirlon.

Ah ! ma fille, ma fille, vous ne savez rien. L’artifice du méchant échappe aux yeux de l’innocence. Il n’attaque en apparence que l’hypocrisie ; mais c’est pour envelopper tous les gens de bien dans la proscription. Il répand à dessein du louche sur les meilleures actions, et ne pardonne ni aux mœurs les plus pures, ni aux hommes les plus sages. Qu’un saint personnage se charge de diriger une jeune fille, ce n’est, à ses yeux qu’un libertin qui lui donne des leçons d’amour. Aller de maison en maison semer d’utiles conseils, c’est séduire les mères, et corrompre les enfans ; voler au secours du malheureux et lui prêter de l’argent, c’est une honteuse usure une avarice raffinée. Enfin il confond le bien et le mal, il ébranle la foi de tout le monde, et le vulgaire ignorant l’écoute et croit tout cela. Au surplus, je ne juge pas… le zele seul me fait parler… que la raison l’éclaire, et que le Ciel le protége !

La Forêt.

Mais que lui pourra-t-il donc arriver de fâcheux, s’il ne profite pas de l’avis généreux qu’on lui donne à temps ?

Pirlon.

Il fait sonner bien haut une permission, ou fausse, ou surprise du moins, et c’est un excès d’audace qu’il payera de sa tête. Que je plains les innocens qui ont affaire à lui ! ils porteront la peine de son crime !