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Comédie.

avec les ours ? Eh ! morbleu, mon ami, trève aux soucis, et faites votre métier gaiement ! à tous les deux ou quatre vers, avalez-moi un verre de vin : à la fin de chaque scène, une bouteille au moins ; et un bon flacon pour terminer l’acte. L’ouvrage une fois achevé, votre esprit se trouve-t-il fatigué ? buvez mon ami, buvez et allez vous mettre au lit. Le vin est le foyer où s’allume l’imagination, et il faut de la gaieté au poëte comique.

Moliere.

Si vous aviez des vers ou de la prose à composer, je crois que votre vin vous inspirerait de belles choses !

Léandre.

Ma foi, si je me mêlais d’écrire, je voudrais que mes ouvrages fussent agréables, et n’offrissent point, comme les vôtres, une foule de choses triviales. Tenez, mon cher Moliere, parlons franchement il y a toujours dans vos pièces du plat et du bouffon ; il semble que vous ne puissiez pas sortir du bas et du commun. Votre style est bon en général, mais d’une inégalité…

Moliere.

Je n’oppose que la docilité et le silence à la censure d’un ami. Mon style est inégal, j’en conviens ; mais ce n’est pas l’ouvrage du hasard. J’écris pour les simples artisans, comme pour la bonne compagnie, et je dois parler à chacun son langage. Il résulte de cette variété de style, jetée à dessein dans un même ouvrage, que telle scène plaît à l’homme du monde telle autre enchante la populace. Si je ne travaillais que pour la gloire, si mon but n’était pas de plaire à tout le monde, peut-être, avec du temps et des soins, pourrais-je donner, comme un autre de l’harmonie à mon style et de la pompe à mes vers.

Léandre.

Que ne me confiez-vous vos ouvrages ? Ils en seraient meilleurs, et prêteraient bien moins à la critique.