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Comédie.

avec lui. Quelques bonnes qu’elles puissent être, ses pièces tomberont infailliblement. Qu’est-ce que sa troupe, sans moi ? C’est moi, c’est mon talent qui fait le mérite principal de ses ouvrages, et l’ingrat m’abreuve de mépris… Ah ! malgré tous ses torts, je l’aime, je suis encore son amie ; et tout est oublié, s’il me demande pardon. Mais le voici.

Moliere.

Heureux auteurs ! il est donc encore des plaisirs pour vous ! douce récompense de tant de fatigues de tant de veilles laborieuses ! (à la Béjart qui va lui parler.) Eh ! Madame, laissez-moi savourer un moment la satisfaction qui remplit mon ame. Je pardonne à tous ceux qui ont agi contre moi, et mon triomphe en acquiert un charme de plus à mes yeux. Amis, ennemis, tout s’offre à moi sous les plus heureux auspices ; et ceux qui avaient dit le plus de mal de ma pièce, ramenés aujourd’hui par le suffrage général, en font un cas infini. Tant il est vrai que le peuple cède à l’événement, comme la moisson dorée au souffle inconstant des vents.

La Béjart.

Moliere, je partage votre joie ; car mon cœur n’est ni froid, ni insensible comme le vôtre. Mais puis-je au moins parler non pour troubler la paix de votre ame, mais pour exhaler les tourmens qui déchirent la mienne !

Moliere.

Puisque vous voulez absolument empoisonner l’instant de bonheur que le Ciel m’envoye, il faut bien s’y résigner, il faut bien s’expliquer enfin.

Depuis quinze ans que l’amitié nous unit, l’idée de m’épouser ne vous était pas encore venue : aujourd’hui, que l’amour parle à mon cœur en faveur de votre fille, l’amour, ou plutôt la jalousie, s’empare du vôtre ! votre printemps s’est écoulé sans prétentions, et vous vous déclarez à une époque…