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Comédie.

nature ; ce qu’elle fait dans les animaux, dans les végétaux, pour sa propre reproduction, elle le fait dans l’homme qui aime. Nous aimons ce qui nous plaît, ce qui nous flatte, et l’amour propre est la source de tous les autres amours. Nous chérissons nos enfans, parce qu’ils nous offrent une image glorieuse de nous-mêmes ; nos parens, nos amis parce que leur secours peut contribuer à notre bonheur. Je ne connais enfin d’amour ici bas, que l’amour propre : la philosophie me l’apprend, et l’expérience me le prouve[1].

Lesbin (entre avec deux flambeaux, dont les bougies sont allumées, les pose sur une table, et s’approche de Moliere.)

Monsieur Léandre et le comte de Frezza demandent à vous parler.

Moliere.

Qu’ils entrent. (Lesbin sort.)

Valere.

Quel excès de politesse ! ils viennent critiquer ; sans doute.

Moliere.

Ils en sont bien les maîtres. C’est me servir et non m’outrager, que de me reprendre en face.

  1. Nous doutons que Moliere eût donné cette définition de l’Amour. Celui qui l’a si énergiquement dépeint, qui en avait si violemment éprouvé les effets, en devait avoir une toute autre idée. M. Mercier nous paraît l’avoir fait parler, dans la même circonstance, d’une manière plus conforme à son caractère connu.

    « Mon ami ! la gloire est pour l’imagination et non pour le cœur. Je veux un sentiment qui remplisse le mien. J’en ai besoin ; et pourquoi serais-je ennemi de l’Amour, et rebelle à la plus douce loi de la nature ? L’homme de lettres doit sans doute à ce sentiment heureux, la connaissance du cœeur de l’homme. — Oui, je me choisirai une douce compagne, qui me consolera dans mes revers, qui me soutiendra dans mes travaux, qui m’adoucira les peines de la vie. Quand la critique amère ou injuste s’acharnera contre moi, un sourire de sa bouche me rendra la gaieté. J’oublierai dans ses bras mes ennemis orgueilleux ou jaloux. — Je crois devoir aux hommages que j’ai rendus à la beauté, les traits les plus délicats et les plus profonds qui se trouvent dans mes ouvrages ».

    (M.  Mercier ; Moliere, drame, acte IV, scène XII.)