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Comédie.

Commençons par distinguer des faveurs dont les dames n’ont point coutume d’être avares, cet amour qui se doit concentrer dans un seul objet. L’époux ne doit souffrir aucune concurrence : celui qui aspire à la main d’une Demoiselle doit désirer d’être seul ; celui qui brigue l’hymen d’une veuve est dans le même cas. Mais ces faveurs distributives dont il est question pour le moment, n’occupent point dans le cœur la place destinée aux autres affections. Et tenez, en voilà un exemple. Un père aime tendrement son fils, et aime en même temps ses amis. L’une et l’autre de ces affections ont leur siége dans le cœur, mais elles y occupent une place différente ; ou, si nous voulons que tout ce qui est amour y occupe une seule et même place, disons donc que la différence se trouvera alors dans la manière, si elle n’est plus dans la place. Qu’une femme cependant soit sage, honnête, fidelle à son époux, sincère envers son amant ; cet amour à l’épreuve n’exclura pas certaines petites affections de reconnaissance, d’estime, de complaisance honnête, et voilà ce qu’on appelle des grâces, des faveurs qui peuvent se distribuer au loin. La plus petite de leurs portions peut satisfaire un cœur discret ; accordées à moitié, elles donnent un juste orgueil à l’heureux chevalier qui les possède ; concentrées dans un seul objet, elles inspirent une témérité qui en méconnaît bientôt le prix, et qui affecte de les confondre avec les ardeurs réservées à un plus noble objet.

Voilà, Madame, ma façon de penser à cet égard. Comte, répondez, si vous pouvez.

Donna Eugénie.

Allons, mon cher Comte, voilà une belle occasion de vous faire honneur.

Le Comte.

Madame, je suis l’ennemi déclaré du verbiage. J’admire l’esprit du Chevalier ; mais sa distinction métaphysique est trop subtile pour moi. Au milieu