Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/148

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gner à la salle de spectacle qui n’était autre chose qu’une grange.

Comme la société dont je faisais partie était incontestablement la première de l’endroit, on nous accueillit avec les plus grands égards, et on nous plaça juste en face du théâtre ; nous attendîmes quelque temps, fort impatients de voir Horatio faire son entrée. Le débutant parut enfin, et je laisse tous les pères juger de mes sensations par les leurs, quand je reconnus en lui mon malheureux fils. Au moment où il allait commencer, ses regards, en parcourant l’auditoire, tombèrent sur miss Wilmot et sur moi ; il resta sans voix et sans mouvement. Les acteurs, dans la coulisse, attribuant cette hésitation à sa timidité naturelle, essayèrent de l’encourager ; mais au lieu de commencer, il versa un torrent de larmes, et quitta la scène. Je ne sais ce que j’éprouvai en ce moment ; car mes sensations se succédaient avec trop de rapidité pour être décrites. Je fus bientôt arraché de ce rêve pénible par miss Wilmot qui, pâle et d’une voix tremblante, me pria de la reconduire chez son oncle. Tout le monde rentré, M. Arnold, qui n’avait pas encore le mot de notre étrange conduite, apprenant que le débutant était mon fils, lui envoya sa voiture et une invitation. Comme il persistait dans son refus de rentrer en scène, on mit un autre acteur à sa place, et il fut bientôt auprès de nous.

M. Arnold lui fit l’accueil le plus gracieux ; je le reçus, moi, avec ma tendresse habituelle ; car je n’ai jamais pu affecter une fausse rancune. Il y eut, dans l’accueil de miss Wilmot, un air d’indifférence sous lequel je démêlai un rôle étudié. Le trouble de son âme n’était pas encore dissipé. Il lui échappa vingt extravagances qui ressemblaient à de la joie ; elle éclatait de rire à ses propres non-sens. Parfois elle jetait un malin coup d’œil à la glace, comme si elle se sentait heureuse de la conscience de son irrésistible beauté ; puis elle nous adressait des questions, sans faire la moindre attention à nos réponses.