Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/155

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famille. Je devais faire une foule de petites choses, sans en attendre l’ordre, porter le tire-bouchon, servir de parrain à tous les enfants du maître d’hôtel, chanter quand on me le demandait, ne jamais être de mauvaise humeur, être toujours humble, et, si je le pouvais, toujours heureux.

« Et pourtant, dans ce poste honorable, je n’étais pas sans rival. Un capitaine de troupes de mer, que la nature avait formé pour cette place, me disputait l’affection de mon patron. Sa mère avait été blanchisseuse d’un homme de qualité, en sorte que, de bonne heure, il avait pris goût au métier d’entremetteur et aux généalogies. L’unique étude de ce monsieur était de se mettre en relation avec des lords ; éconduit par quelques-uns, à cause de sa stupidité, il en trouvait pourtant un grand nombre qui, aussi niais que lui, toléraient ses assiduités. La flatterie était son commerce ; il la pratiquait avec toute l’aisance et toute l’adresse imaginables ; la mienne, au contraire, était gauche et rude ; et puis, le besoin d’être flatté croissant chaque jour chez mon patron, moi, à chaque heure, mieux éclairé sur ses défauts, je me sentais plus de répugnance à le flatter.

« J’allais, une fois pour toutes, laisser le champ libre à l’officier, lorsque mon ami eut occasion de réclamer mon aide. Il ne s’agissait de rien moins que d’un duel avec un gentleman envers la sœur duquel on lui reprochait un tort grave. J’acceptai sans hésiter ; vous ne m’approuvez pas, je le vois ; mais c’était, entre amis, une dette sacrée ; je ne pouvais refuser. Je me battis, je désarmai mon adversaire, et, bientôt après, j’eus le plaisir d’apprendre que sa prétendue sœur était tout simplement une fille publique, et mon drôle, son tenant, un escroc.

« Ce service fut payé des plus chaudes protestations de reconnaissance ; mais mon ami devait quitter Londres dans quelques jours, et le seul moyen qu’il trouva de me servir fut de me recommander à sir