Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/161

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pour les gens comme il faut ; mais toujours ils trouvèrent mon jeu détestable et ne me donnèrent pas un fétu. Chose étrange ! aux bons jours, à l’époque où jouer n’était pour moi qu’un passe-temps, lorsqu’il m’arrivait de faire de la musique pour la compagnie, tout ce qui m’écoutait ne manquait jamais d’être ravi, les femmes surtout ! Maintenant que mon violon était ma seule ressource, chacun en faisait fi ! Preuve de la tendance du monde à toujours coter bien bas les talents qui font vivre un homme !

« Voilà comment j’arrivai à Paris, avec l’intention tout juste de voir et d’aller plus loin. Le peuple de Paris choie dans les étrangers plutôt leur argent que leur esprit. Je ne brillais, moi, ni par l’un ni par l’autre ; aussi je ne fis pas fureur. Après avoir, quatre ou cinq jours, couru la ville et examiné la façade des plus beaux hôtels, je me disposais à dire adieu à cet asile de vénale hospitalité, lorsque, dans une des principales rues, je me trouvai face à face… avec qui ? avec notre cousin, auquel vous m’aviez d’abord recommandé. Cette rencontre me plut fort et ne parut pas lui déplaire. Il me demanda le motif de mon voyage à Paris, et m’apprit qu’il y était lui-même occupé à recueillir des tableaux, des médailles, des gravures, des antiques de toute sorte, pour un gentleman de Londres à qui venait d’arriver tout juste du goût et une grande fortune. Je fus d’autant plus surpris de voir notre cousin chargé d’une pareille mission, que lui-même m’avait plusieurs fois assuré qu’il n’y connaissait absolument rien. « Comment, lui demandai-je, vous êtes-vous sitôt trouvé connaisseur ? — Rien de plus aisé, me répondit-il. Tout le secret consiste à ne jamais se départir de deux règles : l’une, de toujours dire que le tableau aurait pu être mieux, si le peintre eût pris plus de peine ; l’autre, de priser les ouvrages de Pierre Perugin. Je vous ai dernièrement appris comment on se fait auteur à Londres, je veux maintenant vous montrer l’art d’acheter des tableaux à Paris. »