Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/195

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car on ne vous donne ici que de la paille, et votre chambre est bien grande et bien froide. Mais vous me faites un peu l’effet d’un gentleman, et comme je l’ai été moi-même dans mon temps, je mets de grand cœur une partie de mes couvertures à votre disposition. »

Je le remerciai et lui témoignai ma surprise de trouver tant d’humanité dans une prison, au sein de la misère ; et, pour faire preuve d’érudition : « Le sage de l’antiquité, ajoutai-je, semble avoir bien senti le prix d’un compagnon dans le malheur, quand il a dit : Ton cosmon aire, ei dos ton etairon ; et, au fait, qu’est-ce que le monde, si nous n’y trouvons que la solitude ?

— Le monde !… me dit mon camarade, le monde est bien vieux ; et pourtant la cosmogonie ou la création du monde ont embarrassé les philosophes de tous les siècles. Quel chaos d’opinions sur la création du monde ! Sanchoniathon, Manéthon, Bérose et Ocellus Lucanus s’y sont vainement escrimés ! C’est dans le dernier qu’on lit : Anarchon ara kai ateleutaion torpan ; c’est-à-dire….

— Pardon, monsieur, repris-je, si j’interromps votre savante exposition ; mais je crois avoir déjà entendu tout ceci. N’ai-je pas eu le plaisir de vous voir à la foire de Welbridge, et ne vous appelez-vous pas Éphraïm Jenkinson ? » Pour toute réponse, il soupira. « Vous devez, je suppose, vous rappeler un certain docteur Primrose auquel yous avez acheté un cheval. »

Il me reconnut alors seulement ; car auparavant, l’obscurité de l’endroit où nous étions assis et l’approche de la nuit l’avaient empêché de distinguer mes traits. « Oui, monsieur, répondit maître Jenkinson ; je vous remets parfaitement bien. Je vous ai acheté un cheval, mais j’ai oublié de vous le payer. Votre voisin Flamborough est, de tous ceux qui me poursuivent, le seul que je craigne aux prochaines assises ; car il a l’intention de me dénoncer positivement comme faux monnayeur. Je suis, monsieur, bien sincèrement désolé de vous avoir trompé, vous