Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/208

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qui prive autrui de son cheval. Or, ce contrat est nul ; un homme n’a pas plus le droit d’engager sa vie que d’en disposer ; car sa vie n’est pas à lui. Dans ce contrat, d’ailleurs, toutes choses ne sont pas égales ; il serait cassé, même dans nos modernes cours de justice, comme stipulant une peine exorbitante pour un bien mince inconvénient. Mieux vaut en effet la vie de deux hommes, que, pour un des deux, la faculté de monter à cheval. Or, un contrat, nul pour deux hommes, est nul pour cent, pour cent mille ; car, de même que des millions de cercles ne peuvent pas faire un carré, de même des myriades de voix ne peuvent donner la moindre force à un acte entaché de nullité. Ainsi le veut la raison ; ainsi le veut la simple nature. Les sauvages, qui n’ont d’autre guide que la loi naturelle, sont très-avares de la vie les uns des autres ; ils ne versent le sang qu’autant que le sang a coulé ; c’est la loi du talion qu’ils appliquent.

Nos aïeux les Saxons, tout féroces qu’ils étaient dans la guerre, faisaient bien peu d’exécutions en temps de paix. Dans toutes les sociétés naissantes qui portent encore la vive empreinte de la nature, il n’y a guère de crime capital. C’est dans les sociétés plus policées que les lois pénales, remises aux mains des riches, pèsent sur les pauvres. Les gouvernements, en prenant de l’âge, semblent prendre aussi l’humeur morose de la vieillesse. Comme si la propriété nous devenait plus chère à mesure qu’elle s’accroît, comme si nos craintes s’augmentaient avec notre fortune, chaque jour de nouveaux édits murent nos habitations, et des gibets se dressent autour d’elles pour l’effroi de qui serait tenté de les envahir.

L’Angleterre, chaque année, compte plus de condamnés que la moitié des autres États de l’Europe réunis. À quoi s’en prendre ? à la multiplicité de nos lois pénales, ou à la démoralisation de ses habitants ? Je ne puis le dire… aux deux causes peut-être ; car elles s’impliquent l’une l’autre. Lorsque, dans un code dont les rigueurs n’ont pas été