Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/25

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part de célébrité dans le commerce des réputations, il se soumit avec courage aux dures conditions de la vie du manœuvre littéraire, et il accepta le dédain des patriciens de la parole pour conserver sa liberté. Que sont devenus aujourd’hui ses critiques et ses juges ? Les pauvres gens sont morts ; et les deux petits volumes de cet ouvrier des libraires, si dédaigné de ses émules oubliés, vivront éternellement.

Il restait cependant au fond de l’âme de Goldsmith un vain secret d’amertume. Il savait, lui, mieux que personne, qu’il n’avait pas accompli sa destinée ; il regrettait d’avoir jeté son nom aux jugements indiscrets du public sans s’être fait voir tout entier ; il repassait dans sa mémoire tant de jours d’espérance où il avait cru savoir le moyen de faire jaillir une lumière immortelle des ténèbres de sa jeunesse ; il déplorait le malheur d’être méconnu, incomparablement plus cruel que celui d’être inconnu ; il aurait voulu que sa pensée pût se manifester d’un seul jet à la conscience des hommes intelligents et sensibles, pour en humilier les stupides préventions de ses contemporains, et il attendait impatiemment un instant à dérober au besoin, pour montrer aux yeux de la foule quelque chose qui fût Goldsmith. En ce temps-là, une fièvre nerveuse, à laquelle il était sujet depuis l’enfance, vint l’assaillir au milieu de ses rêves, et l’emporta le 4 avril 1774, à l’âge de quarante-cinq ans, heureux du moins de mourir à une époque où le talent passe encore pour vivant, et où l’on compte au nombre des calamités du pays la mort d’un écrivain qui promet. Ses obsèques furent sans éclat comme sa fortune et son nom ; mais on vint peu de temps après le relever de la couche